République des lettres
Deux riches biographies, évoquant d’un côté Paul Morand et, de l’autre, les frères Goncourt, révèlent la face cachée non seulement des individus, mais aussi d’une France dont ils sont des émanations, des symboles.
Comment Roger Nimier et les « hussards » ont-ils pu manquer de clairvoyance au point de sortir de son exil un personnage aussi exécrable que Paul Morand ? Le brillant auteur d’Hécate et ses Chiens n’était au fond qu’un Rastignac métamorphosé en petit-bourgeois ranci, fasciné par le luxe et angoissé par la peur de manquer; un fonctionnaire indifférent aux malheurs du monde, doublé d’un mondain haineux, vouant aux gémonies Juifs, « nègres » et homosexuels. Pauline Dreyfus, tordant le cou au mythe de l’écrivain-diplomate, amateur de croisières, voitures de sport, pur-sang et vestes en tweed, publie une biographie exemplaire – la première du genre, simplement intitulée Paul Morand – sur celui qui fut à la fois proche de Proust et de Laval. Et qui prenait l’homme de Londres pour un général de gauche. Cette biographie prend encore plus d’ampleur à la lecture du premier tome du Journal de guerre. Londres, Paris, Vichy. 1939-1943 (Gallimard), témoignage majeur de Morand sur la collaboration d’État.
CONSERVATEURS ET NOVATEURS
Dans un registre différent, tout le monde connaît le fameux prix à leur nom. Mais peu connaissent leurs oeuvres, encore moins leur vie. Rédigée par deux spécialistes, JeanLouis Cabanès et Pierre Dufief, cette monumentale biographie d’Edmond et Jules de Goncourt est appelée à faire date. Injustement considérés comme de petits-maîtres, les deux frères ont participé aux principales luttes intellectuelles et artistiques de leur temps. Collectionneurs de japonaiseries, misogynes et ennemis du règne de l’argent ou de la prostitution, ils étaient à la fois conservateurs et novateurs. Mais s’il est vrai que leurs romans sont généralement oubliés, il y a le fameux Journal (1851-1896), toujours édité et encensé par les amateurs. À la fois témoignage sur une époque et portrait en creux de ses rédacteurs, il restera comme une mine de réflexions et d’anecdotes sur les grands contemporains dont la fréquentation faisait le miel des deux frères : Flaubert, bien sûr, mais aussi Gautier, Renan, Daudet, Zola… Ainsi cette « double vie » nous offret-elle une plongée stimulante dans la période de l’histoire littéraire, riche entre toutes, qui va du naturalisme aux ivresses 1900.
PAUL MORAND PAULINE DREYFUS (GALLIMARD)
LES FRÈRES GONCOURT JEAN-LOUIS CABANÈS ET PIERRE DUFIEF (FAYARD)