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République des lettres

Deux riches biographie­s, évoquant d’un côté Paul Morand et, de l’autre, les frères Goncourt, révèlent la face cachée non seulement des individus, mais aussi d’une France dont ils sont des émanations, des symboles.

- Emmanuel Hecht et Serge Sanchez

Comment Roger Nimier et les « hussards » ont-ils pu manquer de clairvoyan­ce au point de sortir de son exil un personnage aussi exécrable que Paul Morand ? Le brillant auteur d’Hécate et ses Chiens n’était au fond qu’un Rastignac métamorpho­sé en petit-bourgeois ranci, fasciné par le luxe et angoissé par la peur de manquer; un fonctionna­ire indifféren­t aux malheurs du monde, doublé d’un mondain haineux, vouant aux gémonies Juifs, « nègres » et homosexuel­s. Pauline Dreyfus, tordant le cou au mythe de l’écrivain-diplomate, amateur de croisières, voitures de sport, pur-sang et vestes en tweed, publie une biographie exemplaire – la première du genre, simplement intitulée Paul Morand – sur celui qui fut à la fois proche de Proust et de Laval. Et qui prenait l’homme de Londres pour un général de gauche. Cette biographie prend encore plus d’ampleur à la lecture du premier tome du Journal de guerre. Londres, Paris, Vichy. 1939-1943 (Gallimard), témoignage majeur de Morand sur la collaborat­ion d’État.

CONSERVATE­URS ET NOVATEURS

Dans un registre différent, tout le monde connaît le fameux prix à leur nom. Mais peu connaissen­t leurs oeuvres, encore moins leur vie. Rédigée par deux spécialist­es, JeanLouis Cabanès et Pierre Dufief, cette monumental­e biographie d’Edmond et Jules de Goncourt est appelée à faire date. Injustemen­t considérés comme de petits-maîtres, les deux frères ont participé aux principale­s luttes intellectu­elles et artistique­s de leur temps. Collection­neurs de japonaiser­ies, misogynes et ennemis du règne de l’argent ou de la prostituti­on, ils étaient à la fois conservate­urs et novateurs. Mais s’il est vrai que leurs romans sont généraleme­nt oubliés, il y a le fameux Journal (1851-1896), toujours édité et encensé par les amateurs. À la fois témoignage sur une époque et portrait en creux de ses rédacteurs, il restera comme une mine de réflexions et d’anecdotes sur les grands contempora­ins dont la fréquentat­ion faisait le miel des deux frères : Flaubert, bien sûr, mais aussi Gautier, Renan, Daudet, Zola… Ainsi cette « double vie » nous offret-elle une plongée stimulante dans la période de l’histoire littéraire, riche entre toutes, qui va du naturalism­e aux ivresses 1900.

PAUL MORAND PAULINE DREYFUS (GALLIMARD)

LES FRÈRES GONCOURT JEAN-LOUIS CABANÈS ET PIERRE DUFIEF (FAYARD)

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