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« Suzanna Andler, fais-en un film, je te le donne ! »

Avant de devenir le cinéaste à succès que l’on connaît, Benoît Jacquot fut l’assistant réalisateu­r de Marguerite Duras dans les années 1970. Au moment où sort en salles l’adaptation de la pièce Suzanna Andler, le metteur en scène évoque librement sa maniè

- Propos recueillis par Baptiste Liger

Quand vous est venue l’idée de porter à l’écran Suzanna Andler ? Benoît Jacquot. C’était à l’époque où j’étais son assistant réalisateu­r, dans les années 1970. Marguerite passait beaucoup de temps dans sa voiture ; or, je déteste ça – un comble pour un assistant réalisateu­r, car c’est logiquemen­t l’inverse… La patronne me conduisait ! On passait des heures ensemble d’un lieu à un autre pour des repérages. Et nous discutions beaucoup, de tout, de rien. Et, un jour, j’ai évoqué Suzanna Andler, pièce qui me plaisait beaucoup et qu’elle laissait de côté. Si elle avait pu la faire oublier… J’adore qu’elle s’empare d’un argument de boulevard, de personnage­s de pure convention et d’une situation classique, et qu’elle en fasse quelque chose de complèteme­nt différent, porté par les mots et la syntaxe. Peu de temps avant de mourir, elle m’a dit: « Tu te souviens de ce que tu disais de Suzanna Andler ? Eh bien, fais-en un film, je te le donne ! » J’ai dit oui, sans réfléchir. Elle est partie, l’urgence s’est fait moins ressentir. Puis, il y a quelques années, le scénariste Jérôme Beaujour m’a rappelé cette promesse. Eh bien, faisons-le. J’ai appelé Charlotte Gainsbourg, qui a accepté, et la machine s’est lancée toute seule…

Comment avez-vous défini, justement, avec cette dernière, la manière d’incarner la langue durassienn­e, à la fois théâtrale mais pas totalement ? B.J. Avant même qu’elle le lise, j’ai dit à Charlotte : « Tu vas voir, c’est un rôle que tu pourrais chanter. » Il y a en effet une mélopée, une incantatio­n très particuliè­re qui, connaissan­t son registre, lui allait comme un gant. Au départ, elle était méfiante car elle sépare strictemen­t son activité de chanteuse de celle d’actrice. Mais après avoir lu le texte et, très rapidement, elle avait trouvé la note juste.

En concevant cette adaptation, avez-vous cherché à rendre hommage au cinéma de Duras ? À « emprunter » à son oeuvre ?

B.J. C’est une question que je me posais naturellem­ent, et à laquelle ma scripte, Geneviève, qui a aussi été celle de Marguerite, m’a répondu : « C’est bien de toi, mais elle en serait dingue ! » [rires] Je le dis en toute modestie, bien sûr. Mais voilà, je cherchais à atteindre cet équilibre. Pendant ce tournage d’ailleurs très durassien, il y avait cette équipe, peu nombreuse. Nous étions tous enfermés dans une maison libre pour plusieurs semaines et nous tournions tous les jours avec une durée de tournage dictée par la lumière. On voulait faire un film hivernal, un film d’apparition­s qui induise quelque chose d’un peu spectral. La demeure visitée ressemble d’ailleurs à une maison hantée. Ainsi, cette espèce de concentrat­ion qui était la nôtre, c’était comme une cérémonie vaudou pour rappeler Marguerite. Marguerite, es-tu là ?

Suzanna Andler, de Benoît Jacquot, avec Charlotte Gainsbourg, Niels Schneider,

Julia Roy… Sortie prévue en salles le 13 janvier.

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