ROMANS FRANÇAIS
Avec son histoire d’employé de banque se transformant en oie, Jean-Marie Gourio livre une fable naïve, emblématique de sa nouvelle entreprise littéraire. Rencontre avec le géniteur des Brèves de comptoir, qui a choisi la légèreté pour répondre à la noirce
Jean-Marie Gourio, Jackie Berroyer, Mathieu Menegaux, Philippe Claudel, Jules Gassot, Noëlle Revaz, Laurent Chalumeau, Antonin Varenne, Gilles Paris, Arnaud Guillon, Akira Mizubayashi, Amaury da Cunha
Il fallait que ça soit dans un café. Forcément. Quitte à rencontrer Jean-Marie Gourio, autant que le rendez-vous corresponde à un lieu symbo - lisant son travail. Et, si possible, pas n’importe où : à domicile – ou presque. C’est en effet à quelques dizaines de mètres de sa maison qu’on retrouve, autour d’une coupe de champagne, le fameux géniteur des Brèves de comptoir ( maintes fois rééditées et adaptées au théâtre ainsi qu’au cinéma). « Désolé, la terrasse de l’Abbaye était fermée. On aurait pourtant eu une belle vue. » Sur le lac d’Annecy, le petit village de Talloires – à une dizaine de kilomètres de la ville – ayant pignon sur cette magnifique étendue d’eau, entourée de montagnes et de conifères. « Je me suis installé ici il y a un peu plus de dix ans. Enfant, ma fiancée venait avec sa grand-mère, et celle-ci lui disait : “On n’est pas assez riches pour y vivre, ma chérie !” Des années plus tard, j’ai exaucé le voeu d’une gamine de 6 ans ! » Blandine, d’ailleurs, n’est plus sa fiancée, mais son épouse depuis février 2015. « On se connaît depuis 1976, grâce à Charlie Hebdo où nous travaillions tous les deux. Nous n’avions pas particulièrement envie de passer devant Monsieur le Maire. Mais il y a eu les attentats à la rédaction, et ça a tout changé. On ne savait pas comment ça allait tourner, cette affaire. Il fallait qu’on se protège de cette manière et, en plus, ça a fait marrer les copains. » Il nous montre alors le médaillon sur sa chaîne en argent, en forme de trèfle à quatre feuilles. « C’est elle qui me l’a offert pour que je ne meure pas. »
Il n’y a d’ailleurs pas que la situation maritale de Jean-Marie Gourio qui a été bouleversée, suite au carnage dans la rédaction du journal satirique. Il a abandonné les Brèves de comptoir qui l’ont rendu célèbre – « plus le coeur à ça » – pour un nouveau projet littéraire « à la Vialatte », loin de ses autres romans en général plutôt sombres (citons Apnée, L’Eau des fleurs ou Sex Toy), basé sur une envie de fables et de légèreté dans un monde trop cruel. En deux mois, l’auteur rédigea L’Arbre qui donna le bois dont on fit Pinocchio. Le texte à peine terminé, il enchaîna directement avec Interview d’une vache et scandale au palais et ainsi de suite pour quatre autres romans – en moins de deux ans (on a hâte de lire dans les prochains mois les déboires de son petit sculpteur de banlieue devant fabriquer un grand crucifix, sa version du monstre du Loch Ness dans le lac d’Annecy et ses dialogues éthyliques d’un écrivain avec la littérature). Cette effervescence devait s’incarner dans une collection, qu’il a baptisé « Papillon » et dont il a même imaginé les détails formels. D’abord surpris, son éditeur Bernard Barrault accepta le projet tout en mesurant bien les problèmes techniques – notamment la parution des six tomes en un peu plus de deux ans, véritable « aberration » puisqu’on recommande en général aux auteurs de publier au maximum un livre par an! « Et j’ai tout rendu, déjà! On reprend un petit verre ? »
On peut aujourd’hui découvrir le troisième tome de cette aventure singulière, à la fois naïve et pleine de charme : Le Fabuleux Départ en Laponie de la famille Zoiseaux. Il s’appelle Roméo. Roméo Zoiseaux – vous avez bien lu… Cet homme modeste a épousé une certaine Juliette avec laquelle il a eu deux enfants, Jérémie et Cloé. Tout ce petit monde vit heureux dans une fermette aux abords d’Auxerre. Mais c’est à Joigny que travaille notre Roméo. Au guichet de
l’agence du Crédit agricole de Bourgogne où il s’ennuie gentiment, observant les pigeons (comprenez les oiseaux, pas les clients) qui s’agitent dehors et s’interrogeant sur le sens de leur vol – le sens de leur vie, aussi. Il faut bien s’occuper, après tout – les pigeons servent peutêtre d’ailleurs à ça… Alors qu’il s’apprête à fermer son bureau, un curieux vieux monsieur barbu, « au nez et bec d’aigle », frappe à la porte : Glubistramoulski - taborskayakouts. D’où vient-il? Du pays de « Tout ». Ce citoyen veut ouvrir un compte, mais, en lieu et place de monnaie ou billets, dépose au guichetier du bois. Au sens strict – pas un chèque, mais deux petits morceaux de branche de bouleau. Il faut bien travailler, et Roméo crée un dossier sous ce nom relevant de l’exercice d’articulation. Mais l’employé de banque n’imaginait pas les conséquences de cette rencontre. Son corps va ainsi se recouvrir d’un fin duvet – faisant de lui un véritable homme de plume(s) –, son visage va muter, et son drôle de client va s’introduire jusque dans ses rêves pour lui apprendre les rudiments du vol – celui qui n’a rien à voir avec le larcin financier. Une nouvelle obsession va aussi le hanter : la Laponie, ses sapins, ses étangs gelés, ses troupeaux de rennes… Roméo doit se rendre à l’évidence : il est en train de devenir une oie sauvage ou, plus exactement, un jars rêvant de faire découvrir la Scandinavie à tout son petit monde, sur ses ailes. Mais ses enfants comprendront-ils ses « ang ang ang ga ga ga » incessants? Juliette aimera- t- elle toujours son nouvel emplumé de Roméo?
Il fallait une bonne dose d’inconscience et de coupes de pétillant à Jean-Marie Gourio pour imaginer un argument de fable à la poésie aussi fragile. Et, pourtant, il l’assume et, mieux, le revendique. Oser appeler ses personnages Roméo et Juliette ? « Ça marche, parce que j’enfonce le clou en précisant qu’il s’agit de la famille Zoiseaux. Au début, on rigole et on se dit que ça fait beaucoup, je suis d’accord, mais il me semble qu’en fin de compte ça fonctionne ! » Son univers se révèle crédible car, justement, l’auteur ancre l’onirisme dans un monde bien concret et précis – il existe bel et bien une agence du Crédit agricole de Bourgogne dans la petite ville de Joigny, une région qu’il a bien connue, il y a longtemps. « L’idée de cette histoire est venue d’une vision, celle d’un homme qui observe les oiseaux dehors. » Rien de plus normal pour un écrivain issu des arts plastiques – mais qui, de son propre aveu, « dessine mal » ! Le personnage principal « est né de cette image, et je l’ai laissé se développer – ses proches, ses préoccupations, ses désirs – jusqu’à la formation de l’intrigue. » Si Le Fabuleux Départ en Laponie de la famille Zoiseaux assume son statut de fable et de vrai roman d’amour (« j’ai tenu à respecter tous ses codes »), il est aussi l’occasion pour Jean- Marie Gourio de rendre hommage à deux livres qu’il adore : Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède de Selma Lagerlöf et Le Lièvre de Vatanen d’Arto Paasilinna. Mais cet amoureux de l’imaginaire y voit aussi l’influence directe de l’un de ses amis. « Ce livre, ça aurait pu être une idée de Gébé », dessinateur « très sous-estimé » à ses yeux et qu’il a bien connu. « Avec le drame de Charlie, j’ai non seulement été bouleversé par la mort de ceux qui ont été abattus, mais j’ai aussi pris conscience à cet instant du décès des “anciens” de l’équipe, survenu auparavant, et que je n’avais pas intégré. » Il y a ceux de HaraKiri et ceux qu’il a fréquentés lors des programmes télé pour lesquels il a écrit (Palace, Merci Bernard, Les Nuls, l’émission). Mais le petit écran ne l’intéresse plus, même chose pour le grand écran (« je n’ai pas de talent de scénariste »). En attendant, Gourio oeuvre à la bonne tenue de la fête du livre de Talloires, très courue des écrivains et qu’il organise chaque année en compagnie d’une ancienne attachée de presse, Marie-Laure Goumet. « Ça me prend un temps fou, mais, à la fin, tout le monde est bien content. » Il convient alors de trinquer, une dernière fois, par avance – ou superstition –, avant de prendre son envol…
Baptiste Liger
« Ce livre, ça aurait pu être une idée du dessinateur Gébé »