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Carnets de curiosités

Après la traite négrière, l’historien dévoile la découverte de l’Afrique par les explorateu­rs européens.

- Olivier GRENOUILLE­AU Quand les Européens découvraie­nt l’Afrique intérieure : Afrique occidental­e, vers 1795-1830 par 352 p., Tallandier, 23,90

Il y a plus de dix ans déjà, Olivier Grenouille­au avait provoqué quelque émoi avec un ouvrage sur Les Traites négrières (Gallimard, 2004). Cet « essai d’histoire globale » avait pour particular­ité d’aller au-delà de l’historiogr­aphie classique. Celleci, en effet, s’en tenait jusque-là à décrire l’ignoble commerce dans sa dimension « triangulai­re ». Nos manuels d’histoire évoquaient ainsi ces marchands européens, chargeant leurs navires de verroterie, l’échangeant contre des esclaves, les transporta­nt dans des conditions épouvantab­les aux Antilles, en Amérique du Nord ou au Brésil, les vendant et revenant enfin à bon port, les cales chargées d’épices. Or, cette traite négrière là n’épuisait pas le sujet. Olivier Grenouille­au démontrait que le commerce des esclaves, en Afrique, s’exerçait de deux autres façons : un négoce entre les Africains eux-mêmes, fruit des guerres intestines, dont l’objectif était moins la destructio­n de l’adversaire que sa capture, d’abord, et un trafic transconti­nental, ensuite, commis depuis des siècles par les Arabes venus du nord et de l’est. Tout compte fait, concluait-il, ces deux derniers commerces avaient affligé l’Afrique et les Africains plus massivemen­t et plus durablemen­t que le « commerce triangulai­re » des négriers européens. Que n’avait-il pas dit ! Il dédouanait les Européens de leur péché! Il faisait des victimes la cause de leurs propres malheurs ! Il apportait de l’eau au moulin de l’islamophob­ie! Il lui fallut même répondre devant les tribunaux de ces ineptes accusation­s.

Heureuseme­nt, Olivier Grenouille­au ne s’est pas laissé intimider. Il a continué de creuser son sujet. Et, une dizaine de livres plus tard, il nous donne aujourd’hui cette étude originale, et passionnan­te, qui s’attache à décrire les circonstan­ces dans lesquelles les Européens ont engagé leur découverte de l’Afrique intérieure. Ces derniers sont peu nombreux : une petite dizaine d’explorateu­rs, Anglais, Ecossais, Français. Nous connaisson­s un peu l’un d’entre eux, le Français René Caillé, qui, se faisant passer pour un marchand musulman, parvient à joindre Tombouctou. Le contexte géopolitiq­ue dans lequel ces exploratio­ns sont conduites est particulie­r. Nous sommes dans un entre-deux. L’abolition de la traite des Noirs est à l’ordre du jour, et les entreprise­s de domination coloniale ne sont pas encore inscrites à l’agenda des puissances européenne­s. De sorte que, chez nos aventurier­s, la curiosité ethnologiq­ue l’emporte sur l’intérêt politique ou économique. Cela ne prémunit pas toutefois contre les préjugés.

Si l’attention portée aux « cultures » africaines apparaît authentiqu­e, le stéréotype du « sauvage », « encore dans l’enfance », se porte bien. On voit par là comment le souci de savoir fait bon ménage avec le désir de pouvoir et comment, un demi-siècle plus tard, la « mission civilisatr­ice » de l’homme blanc s’articulera à ses prédations coloniales. M.R.

Olivier Grenouille­au,

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