Carnets de curiosités
Après la traite négrière, l’historien dévoile la découverte de l’Afrique par les explorateurs européens.
Il y a plus de dix ans déjà, Olivier Grenouilleau avait provoqué quelque émoi avec un ouvrage sur Les Traites négrières (Gallimard, 2004). Cet « essai d’histoire globale » avait pour particularité d’aller au-delà de l’historiographie classique. Celleci, en effet, s’en tenait jusque-là à décrire l’ignoble commerce dans sa dimension « triangulaire ». Nos manuels d’histoire évoquaient ainsi ces marchands européens, chargeant leurs navires de verroterie, l’échangeant contre des esclaves, les transportant dans des conditions épouvantables aux Antilles, en Amérique du Nord ou au Brésil, les vendant et revenant enfin à bon port, les cales chargées d’épices. Or, cette traite négrière là n’épuisait pas le sujet. Olivier Grenouilleau démontrait que le commerce des esclaves, en Afrique, s’exerçait de deux autres façons : un négoce entre les Africains eux-mêmes, fruit des guerres intestines, dont l’objectif était moins la destruction de l’adversaire que sa capture, d’abord, et un trafic transcontinental, ensuite, commis depuis des siècles par les Arabes venus du nord et de l’est. Tout compte fait, concluait-il, ces deux derniers commerces avaient affligé l’Afrique et les Africains plus massivement et plus durablement que le « commerce triangulaire » des négriers européens. Que n’avait-il pas dit ! Il dédouanait les Européens de leur péché! Il faisait des victimes la cause de leurs propres malheurs ! Il apportait de l’eau au moulin de l’islamophobie! Il lui fallut même répondre devant les tribunaux de ces ineptes accusations.
Heureusement, Olivier Grenouilleau ne s’est pas laissé intimider. Il a continué de creuser son sujet. Et, une dizaine de livres plus tard, il nous donne aujourd’hui cette étude originale, et passionnante, qui s’attache à décrire les circonstances dans lesquelles les Européens ont engagé leur découverte de l’Afrique intérieure. Ces derniers sont peu nombreux : une petite dizaine d’explorateurs, Anglais, Ecossais, Français. Nous connaissons un peu l’un d’entre eux, le Français René Caillé, qui, se faisant passer pour un marchand musulman, parvient à joindre Tombouctou. Le contexte géopolitique dans lequel ces explorations sont conduites est particulier. Nous sommes dans un entre-deux. L’abolition de la traite des Noirs est à l’ordre du jour, et les entreprises de domination coloniale ne sont pas encore inscrites à l’agenda des puissances européennes. De sorte que, chez nos aventuriers, la curiosité ethnologique l’emporte sur l’intérêt politique ou économique. Cela ne prémunit pas toutefois contre les préjugés.
Si l’attention portée aux « cultures » africaines apparaît authentique, le stéréotype du « sauvage », « encore dans l’enfance », se porte bien. On voit par là comment le souci de savoir fait bon ménage avec le désir de pouvoir et comment, un demi-siècle plus tard, la « mission civilisatrice » de l’homme blanc s’articulera à ses prédations coloniales. M.R.
Olivier Grenouilleau,