Marseille : «Il faut arrêter de demander et faire nous-mêmes»
Amine Kessaci, candidat de la liste écolo, et Mohamed Bensaada, sur celle de LFI, tentent de mobiliser les quartiers populaires de Marseille, où ils sont militants associatifs.
Le processus est classique pour les habitués des campagnes électorales : frapper méthodiquement à chaque porte, en commençant par le dernier étage de l’immeuble et en descendant progressivement. Cette fin d’après-midi d’avril, les montées successives ne seront pas trop rudes, cité de la Visitation, dans le 14e arrondissement de Marseille, où les quelques barres grises ne font que quatre étages. Le tractage du jour s’annonce rapide pour la poignée de militants Les Ecologistes, venus présenter leur liste aux européennes. Première porte: c’est Eric, militant et habitant du bâtiment C, qui tape en éclaireur. «Bonjour madame, c’est pour les élections européennes, je suis venu vous présenter Amine Kessaci, un jeune de 20 ans de Frais-Vallon qu’on veut faire élire au Parlement européen !»
Derrière lui, Amine Kessaci, tout sourire, prend le relais. Etes-vous inscrite sur les listes électorales ? Savez-vous ce que l’Europe peut faire pour les quartiers ? L’étudiant en droit, dont c’est la première expérience politique, développe selon la réceptivité de l’interlocuteur ou rappelle juste la date du scrutin, le 9 juin, en tendant son tract. «Pour une Europe qui défend nos quartiers», dit le flyer où son visage s’affiche aux côtés de la tête de liste du mouvement, Marie Toussaint. «C’est moi qui l’ai proposé, pour des questions de représentation, raconte le néocandidat. Pour dire aux jeunes regardez, c’est possible, je leur ressemble, j’ai le même prénom.» Question de popularité, aussi: si les habitants de la Visitation reconnaissent n’avoir jamais entendu parler de la députée européenne sortante, Amine, lui, «on l’a vu à la télé», entend-on régulièrement dans les étages.
«Pas le droit de donner de faux espoirs»
Le Marseillais est apparu sur les écrans il y a trois ans, lorsqu’il a interpellé Emmanuel Macron, alors en visite dans les quartiers du nord de la ville. Amine, 17 ans, venait de perdre son frère dans un assassinat sur fond de trafic de stup et interrogeait le Président sur les conditions de vie dans les cités. Depuis, son aisance en a fait un habitué des médias, parallèlement à ses actions de terrain : l’association Conscience, qu’il a fondée pour accompagner les familles et faciliter l’accès au logement et à l’emploi dans les quartiers, fédère aujourd’hui 3000 membres. Amine Kessaci a dû en lâcher la présidence en acceptant d’être numéro 10 sur la liste de Marie Toussaint. Une position éligible si les Verts réengrangent leur score de 2019 (13,5%, 13 élus), ce qui n’est pas gagné, compte tenu de la difficulté des écolos à percer
dans cette campagne. La rencontre avec l’eurodéputée sortante a eu lieu il y a un an, lors d’une visite dans sa cité de Frais-Vallon. «Au début, je pensais que les écolos allaient être chiants, qu’elle allait nous parler des arbres, sourit-il. Mais elle s’est assise avec les gens et a parlé justice sociale, transports…» C’est elle qui l’a convaincu de s’engager pour «porter la voix des miens». «J’ai répondu que si je venais, je ne mentirais pas aux gens, qu’il fallait vraiment prendre en compte leurs problématiques. Je ne veux pas être un bobo déconnecté : sans justice sociale, on ne peut pas parler environnement. Moi, je vis dans ces quartiers, je n’ai pas le droit de leur donner de faux espoirs.»
Venir des quartiers populaires pour parler aux quartiers populaires : «C’est un atout, ça fait qu’on ne me claque pas la porte au nez, mais
«Venir des quartier populaire est un atout, ça fait qu’on ne me claque pas la porte au nez, mais ce n’est pas suffisant. On ne peut pas juste sortir l’étiquette “je suis comme vous, votez pour moi”. On veut de la cohérence.» Amine Kessaci candidat sur la liste écolo de Marie Toussaint
ce n’est pas suffisant, insiste le jeune candidat. On ne peut pas juste sortir l’étiquette “je suis comme vous, votez pour moi”. On veut de la cohérence : voyez ce que j’ai fait jusqu’à présent et voilà ce que l’on propose.» Par exemple, renforcer le Fonds social européen pour, entre autres, accélérer la rénovation thermique des bâtiments dans les cités. Ou encore légaliser le cannabis à l’échelle européenne pour contrer l’expansion des trafics de drogue.
Manque d’enthousiasme des électeurs
Devant le terrain de foot de la Visitation, un groupe de mères profite des derniers rayons de soleil de l’après-midi. Aucune ne vote. «Les élus nous vendent du rêve, mais ils ne tiennent pas leurs engagements», résume l’une d’elles. «Je comprends leur discours, concède Djamila, habitante des quartiers populaires et tracteuse du jour aux côtés d’Amine Kessaci. Mais ce jeune pas encore élu aide déjà, ça c’est inédit.» Pourquoi se présente-t-il, demande Chaynese, assise face à elle. «Justement parce que je vis dans les quartiers et que je vois passer les élus sans que rien ne se passe, embraye le candidat. A un moment, il faut arrêter de demander et faire nous-mêmes.» Il faut au moins aller voter, insiste le candidat face à des électeurs de plus en plus résignés : «Il y a trois ans, quand j’ai interpellé Macron, les gens me disaient bravo. Maintenant, ils me disent courage… Mais je refuse de baisser les bras.»
«J’essaie surtout de susciter la volonté de voter»
Le manque d’enthousiasme des électeurs ne fait pas non plus capituler Mohamed Bensaada, référent marseillais de La France insoumise. Son mouvement a même placé en priorité de ces élections européennes la mobilisation aux urnes des quartiers populaires, qu’il arpente depuis des années comme militant associatif de terrain. Alors pour cette nouvelle campagne, le quinquagénaire, qui pointe à la 14e place de la liste menée par Manon Aubry, multiplie le porte-à-porte pour convaincre les habitants de passer par les urnes le 9 juin. Un dimanche d’avril, le rendez-vous programmé dans la tentaculaire cité Air-Bel, dans l’Est marseillais, s’annonce d’envergure. Par le nombre d’habitants à visiter –5500–, de militants mobilisés –une quarantaine, déboulant par groupes, drapeaux violets au vent –, et par les personnalités nationales qui participent au tractage du jour, du député marseillais Sébastien Delogu à la juriste franco-palestinienne Rima Hassan, septième sur la liste.
Scotch, piles d’affiches et de tracts, répartition par groupe de quatre, quadrillage de la cité sur plan… La machine est rodée et là encore, l’équipe débute par le dernier étage des tours. Pas de grands discours, surtout le rappel de la date du scrutin que peu de monde a d’ailleurs en tête, l’importance de s’inscrire sur les listes électorales avant la date butoir, quelques jours plus tard, et le glissage d’un tract affichant les principaux visages connus de la liste. La
phrase d’accroche de Mohamed Bensaada : «Bonjour, c’est pour les élections européennes, la liste de Jean-Luc Mélenchon et Manon Aubry, pour envoyer un maximum de députés à Strasbourg pour défendre les quartiers populaires.» Jean-Luc Mélenchon a beau pointer à la dernière place, non éligible, «dans les quartiers, c’est le sésame, se marre le candidat. Dès que tu dis Mélenchon, l’attitude change de suite, donc j’en abuse !» L’accueil est effectivement bienveillant.
Cela n’a pourtant pas suffi en juin 2022, lors des législatives. Mohamed Bensaada était le candidat de la Nupes dans les 13e et 14e arrondissements marseillais, au coeur de ces quartiers populaires qu’il connaît par coeur. Qualifié en tête pour le second tour, il échoue finalement face à une candidate totalement inconnue du Rassemblement national (RN) qui l’emporte avec 54,9 % des voix, et surtout une abstention de presque 63%. Le tout sans le soutien de la députée macroniste sortante, grince-t-il aujourd’hui encore. Sonné sur le coup, le militant a pris le temps d’analyser les causes de cet échec pour affiner son approche. «Convaincre sur notre programme, ce travail est déjà fait, expliquet-il. Notamment grâce à nos parlementaires : beaucoup de gens que l’on croise saluent notre engagement sur les retraites, ou nos positions sur l’Ukraine et Gaza. Quand on les écoute, on voit qu’il y a un succès d’estime, qu’il faut désormais transformer en succès électoral. J’essaie surtout de susciter la volonté de voter, de rappeler l’importance de la jouer collectif, montrer qu’une élection, c’est un moment suspendu où il y a une égalité dans l’isoloir : leur voix compte autant que celle d’Arnaud Lagardère. Il faut prendre conscience de cette force-là.» Pour Mohamed Bensaada, il faudrait, à long terme, que le mouvement porte le débat sur le vote électronique qui faciliterait le passage à l’acte. A court terme, le mouvement va déjà relancer mi-mai ses «caravanes populaires» partout en France pour présenter leur programme et «convaincre les résignés». L’étape marseillaise est prévue le 7 juin, deux jours avant le scrutin européen.