Libération

«L’Ombre de feu», la claque glauque

Retour du cinéaste punk Shinya Tsukamoto avec un film sur les rescapés de la Seconde Guerre, traumatisé­s par la défaite japonaise. Pas toujours subtil, mais avec un regard toujours tranchant.

- Léo SoeSanto

Depuis la fin des années 80, Shinya Tsukamoto s’est forgé une carrière de cinéaste destroy, pourvoyeur d’images violentes hallucinée­s où les esprits et les corps se fracturent, que plein d’épigones tentent d’émuler en vain depuis (Darren Aronofsky surtout). Son premier long, Tetsuo (1989), sur la métamorpho­se d’un quidam en monstre de métal, brillait d’un body horror angoissant qui le fit comparer notamment à David Cronenberg. Mais contrairem­ent à ce dernier, Tsukamoto n’a que très tardivemen­t cherché la respectabi­lité et le sujet dit sérieux après les mutations diverses et variées : Fires on the Plain n’arrive qu’en 2014, soit le récit de la survie et de l’errance d’un soldat nippon aux Philippine­s au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Avec tout de même du cannibalis­me au menu.

Sis dans la même période, l’Ombre du Feu semble clore, après le film de samouraïs Killing (2018), une trilogie sur les heures sombre de son pays. Il s’attarde ici sur divers rescapés hagards après la défaite japonaise : la tenancière d’un bar désert, poussée à la

prostituti­on, et qui voit revenir vers elle chaque jour un troufion client mauvais payeur et un orphelin rapineur.

Les bases sont celles d’un huis clos qui, même lorsqu’il s’ouvre au monde extérieur ou même au road movie reste singulière­ment étouffant avec son image charbonneu­se

et cendrée. Estampillé punk à ses débuts, Tsukamoto a fait sa transforma­tion post-punk, l’équivalent de la frontalité criarde et chaotique des Sex Pistols muant dans la menace sourde de Public Image Limited avec sa ligne de basse serpentine, tapie, toujours sur le point de sortir de

sa cachette. C’est glauque à souhait.

Le grotesque de Tsukamoto a abandonné effets spéciaux et filtres pour se concentrer sur les visages sans fard des victimes dévorées par leurs démons intérieurs, tandis qu’ils essaient de rebâtir un semblant de normalité. Lorsque le point de vue épouse celui de l’enfant, seul innocent dans ce cloaque, le message antiviolen­ce n’est pas toujours subtil, comme façonné par les grosses papattes d’un Godzilla Minus One avec qui l’Ombre du Feu dialogue tout de même aux rayons résilience, masculinit­é et patriotism­e toxique. Mais, même sous la reconstitu­tion historique, il y a assez d’images traumatisa­ntes pour confirmer que Tsukamoto n’a rien perdu de son regard abrasif.

L’Ombre de Feu de ShinyA TSukAMOTO avec Shuri, Mirai Moriyama, Oga Tsukao… 1 h 35.

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PHoTo KAIJYU THEATER L’enfant, seul innocent dans ce cloaque.

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