Droits humains dans des mines : Apple sommé de s’expliquer en RDC
Le pays d’Afrique centrale va mettre en demeure ce jeudi l’entreprise américaine concernant les conditions d’exploitation sur les sites d’extraction de matières premières nécessaires à la fabrication de smartphones.
Les «3T» : tantale, tungstène ou étain. Une nouvelle ruée vers ces métaux, aussi rares que précieux, indispensables à la fabrication de smartphones ou ordinateurs, se déroule en ou Asie. Et plus spécifiquement en république démocratique du Congo. Kinshasa va délivrer ce jeudi une sommation à Apple (à sa maison mère aux Etats-Unis mais aussi à sa filiale française) pour «violation des droits humains». A ce stade, il ne s’agit que d’une mise en demeure de répondre sous trois semaines à une série de questions qui fâchent, avant toute action judiciaire. La RDC possède un des principaux gisements mondiaux de ces matières premières si recherchées. Notamment dans sa province Est, frontalière avec le Rwanda, le Kivu. Laquelle est l’objet d’une guerre civile sans fin, plus ou moins entretenue par le pays voisin, ce que nie Kigali. Le gouvernement de Kinshasa n’y règne donc pas en maître, le Kivu étant plutôt sous la houlette de diverses milices, notamment le M23, soucieuses de s’approprier les «3T».
«Blanchiment». Plusieurs ONG ont déjà eu l’occasion de dénoncer les conditions d’exploitation des mines. Comme Global Witness, pointant en avril 2022 le «travail des enfants», plus généralement du travail forcé par les milices. D’autres rapports officiels ont dénoncé le recours à de l’esclavage dans cette région gangrenée par les seigneurs de guerre, haut-lieu des «minerais du sang».
Apple se dit pourtant sûre de la fiabilité et de l’honorabilité de ses filières – et se proAfrique clame intransigeante sur le travail des enfants. La firme n’achète pas directement la matière première sur place, mais le produit fini à des fondeurs ou raffineurs locaux. «Nous n’avons trouvé aucune base raisonnable permettant de conclure à un approvisionnement en 3T qui financerait directement ou indirectement des groupes armés en RDC ou dans un pays limitrophe», rassure un rapport de février 2023.
Il y a manifestement quelques trous dans la raquette. Ses circuits sont officiellement contrôlés par une structure indépendante, qu’Apple finance à hauteur de 250000 dollars par an. Global Witness n’est guère flatteur à son endroit, évoquant le «blanchiment de minerais sales en RDC» via cet organisme : «De grandes quantités, provenant de mines dans lesquelles sont impliquées des milices, entrent dans la chaîne d’approvisionnement et sont exportées.» Il y a surtout un hic: Apple s’approvisionne officiellement au Rwanda, pays voisin qui ne dispose que peu de tantale ou tungstène dans son propre sous-sol. Mais en est néanmoins le troisième exportateur mondial…
La multinationale s’interroge auprès de Libé : «Pourquoi s’en prendre particulièrement à Apple, qui a les processus les plus robustes au monde ?» De fait, ses divers fournisseurs à travers la planète sont soumis à un code de bonne conduite (Supplier Code and Responsible Sourcing Standard), qui fait référence à la charte des droits de l’homme de l’ONU, à la déclaration de l’Organisation internationale du travail sur les droits fondamentaux dans le monde du travail, aux lignes directrices de l’OCDE sur le devoir de vigilance des multinationales en matière d’approvisionnement… N’en jetez plus.
«Prix du sang».
«Le pire est parfois commis en amont de la [vente] de nos chers smartphones.» William Bourdon avocat français
Mais ce formalisme, où «l’éthique» est brandi en étendard, ne permet pas toujours de contrôler la sous-sous-sous-traitance. Apple l’a reconnu dans un rapport de février 2023: «Les difficultés liées au suivi de quantités spécifiques de minéraux tout au long de la chaîne d’approvisionnement continuent d’entraver la traçabilité de toute expédition tout au long du processus de fabrication du produit.» C’est dit, quoique laborieusement concédé. Pour William Bourdon, l’un des avocats de la RDC, «le pire est parfois commis en amont de la commercialisation de nos chers smartphones. La responsabilisation et la judiciarisation des acteurs privés, qui utilisent des minéraux exploités au prix du sang, sont une nouvelle frontière à atteindre».
D’où cette interpellation des avocats américains et français à la direction d’Apple: «Il apparaît que votre société, malgré ces dénis et engagements officiels, persisterait à utiliser des minerais stratégiques dont l’extraction donne lieu à de nombreuses violations des droits humains.» En France, une plainte directe aurait peut-être été déposée ; aux Etats-Unis, ces travaux d’approche ou d’intimidation par avocats interposés sont monnaie courante. «Toutes les options sont sur la table», prophétisentils. Réponse sous trois semaines, donc, avant éventuel procès.