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«Elus LR, nous n’avons pas besoin de vous pour protéger les enfants trans»

Les sénateurs Les Républicai­ns préparent une propositio­n de loi pour interdire aux mineurs les traitement­s hormonaux. Nous ne laisserons pas faire.

- Par NOAH TRUONG

Les Républicai­ns se préparent à déposer au Sénat une propositio­n de loi pour interdire aux mineurs d’accéder au volet médical de leur transition de genre, et donc notamment de recourir aux bloqueurs de puberté et aux traitement­s hormonaux avant leurs 18 ans. Il s’agit, selon elleux, de prévenir un «scandale éthique» et de protéger les enfants des «idéologies transaffir­matives (1)» qui les induiraien­t à entamer des transition­s de genre.

Les trans sont invisibles dans la culture commune

J’ai observé la séquence politique lancée par les LR, suivie par les propos de l’ex-ministre Ségolène Royal sur les liens (démentis) entre transident­ité et exposition au glyphosate, avec une triste sensation de déjà-vu (2). Triste, parce que la personne trans de 31 ans que je suis aujourd’hui, hormonée depuis plus de trois ans, ne peut que reconnaîtr­e une rhétorique déjà mobilisée par la droite, en 2012, lors des débats sur l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples homosexuel­s.

A l’époque, j’ai tout juste 20 ans, et je décide de partir à 10 000 km de chez moi, à Taiwan, pour faire ce que je me savais incapable de faire en France, là où j’ai grandi. Faire mon coming out, après des années de silence.

Je suis «lesbienne». J’apprends à dire ce mot comme si j’avais un poing coincé dans la gorge. «Lesbienne». Il y a là, dans ma trachée, toute la honte et la peur qu’on m’y a mise. Des années d’homophobie familiale, scolaire, sociétale. Des années de terreur intime qu’il faut soulever pour me dire : «lesbienne».

Il ne me vient pas à l’idée, alors, que je puisse être une personne transgenre, décider de changer mon prénom et de prendre des hormones pour me masculinis­er. Je vais attendre huit ans de plus pour m’engager dans ce processus de «transition de genre». Ce n’en est pourtant pas le désir qui manque. Tout jeune enfant, en même temps que je perçois mon attraction pour les femmes, je sens que l’identité de genre à laquelle j’ai été assigné·e à la naissance ne me convient pas. Je veux «être un garçon». Je veux «changer de corps».

Mais ce désir ne trouve nul répondant dans le monde. Ni dans celui de mon enfance ni en 2012. Nulle part, il n’est fait mention qu’il est réalisable, légitime. Les personnes trans n’existent pas dans le débat public. Elles sont invisibles dans la culture commune autrement que comme des blagues ou des monstres. Il m’est impossible de formuler, même à moi-même, un désir que la société dans laquelle j’ai grandi occulte. Parce que cette société nie l’existence trans, je nie mon existence trans.

Alors que je me débats, à Taiwan, pour assumer mon désir «homosexuel», s’organise en France le mouvement homophobe et transphobe de la «Manif pour tous». Pendant plusieurs semaines, chaque soir, j’allume mon ordinateur pour regarder en direct les débats. Comme il n’est pas de bon ton d’être tout simplement homophobe, les opposants au mariage choisissen­t de se rabattre sur la protection de l’enfance (3). Ce n’est pas que je suis contre le mariage gay, mais voyez-vous, cela ouvre à l’adoption, et comment être sûr·e·s que deux hommes gays, que deux femmes lesbiennes peuvent élever un enfant (4) ? Comment peut-on faire ça à un enfant ?

J’ai 20 ans, je suis à 10 000 km de chez moi.

Je suis, moi aussi, un enfant. Un enfant à qui on suggère qu’il est si tordu qu’on ne peut pas lui confier un enfant. Un enfant qui sait pourtant, ardemment, qu’il n’y a en lui rien de mal, ni de sale ni de pervers.

Mais vous échouerez, comme vous avez échoué

Que l’horreur n’est pas de son fait, mais du fait de celleux qui légifèrent sur l’autonomie et les choix des enfants homosexuel­s et transgenre­s, débattent de leur dignité et de leur droit à être en prétendant vouloir les protéger. Un enfant qui sait tout cela, mais n’a pas encore de voix pour le dire. Républicai­ns, les enfants que vous avez insulté·e·s lors des débats contre le mariage pour tous (vous étiez alors l’UMP) sont devenu·e·s grand·e·s. Iels sont devenu·e·s lesbiennes, gouines, PD, gays, bi, pan, queers. Iels sont devenu·e·s trans. Nous n’avons pas besoin de vous pour «protéger» les enfants trans. Ce sont nos enfants. Les enfants de nos nouvelles génération­s dispersées. Vous pouvez tenter de leur interdire ce que vous avez voulu nous interdire. Mais vous échouerez, comme vous avez échoué auparavant, puisque nous sommes déjà là, prêt·e·s à les accueillir. Dans un monde qui, désormais, nous appartient un peu à nous aussi. •

(1) Le Journal du dimanche, 19 mars.

(2) Libération, 21 mars.

(3) Lire les Humilié·es (édition Equateurs) de Rozenn le Carboulec.

(4) La Croix, 17 novembre 2012.

Tout jeune enfant, […], je sens que l’identité de genre à laquelle j’ai été assigné·e à la naissance ne me convient pas.

Dernier ouvrage paru : Manuel pour changer de corps (éditions Cambouraki­s, janvier 2024). A paraître : Et pourtant (éditions la Paulette, courant 2024).

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