«L’outil idéal, c’est le casier»
Pour le spécialiste en écologie halieutique Didier Gascuel, il est possible de sortir de la pratique industrielle qui détruit les océans, à condition d’arrêter le chalut pour passer à des méthodes plus douces.
Fermeture du golfe de Gascogne pour empêcher les captures accidentelles de dauphins, hausse du prix du gazole, ressources halieutiques en baisse : les pêcheurs sont en crise. Si leurs tentatives de mobilisation parisienne ont échoué en janvier, ils ont toutefois été rejoints par les agriculteurs de la droitière Coordination rurale lors d’une manifestation à Rennes : une velléité de convergence des luttes qui n’a pas eu de suites. En raison de la mainmise de la pêche industrielle et au chalut sur le secteur, la pêche française est dans une «impasse sociale, économique et écologique», notait un rapport scientifique publié en début d’année. Pour autant, les solutions existent. Le chercheur en écologie halieutique de l’Institut Agro Rennes-Angers Didier Gascuel, qui défend la théorie de «pêchécologie», appelle à une transition écologique et durable du secteur.
Pourquoi la pêche est en crise aujourd’hui ?
Il y a des raisons conjoncturelles à la crise : le Brexit, qui se traduit par une réduction des quotas [de pêche accordés à la France] et le prix du gazole qui a augmenté, mais celui-ci n’est qu’un déclencheur et le marqueur d’un malaise plus profond. Derrière, il y a une question structurelle. La crise de la pêche vient d’une longue dégradation du capital écologique parce qu’on a surpêché. Le niveau des ressources est faible, l’écosystème est en mauvaise santé, et au moment où on commence à prendre des mesures de régulations un peu plus efficaces mais encore insuffisantes, on se reprend le coup de massue du changement climatique.
Peut-on engager une transition dans ce contexte ?
La pêche a besoin d’entamer une transition pour se décarboner et avoir moins d’impacts sur la biodiversité, comme tous les secteurs de la société. Mais c’est encore plus vrai pour elle car elle dépend directement de la biodiversité, de la production et de la bonne santé des océans. Le contexte exige de réduire les impacts, de rehausser nos normes environnementales et de développer des méthodes de pêche peu impactantes.
Vous défendez la «pêchécologie», c’est quoi ?
C’est une proposition pour inventer une nouvelle forme de pêche durable. Il faut minimiser au maximum ses impacts : comment on fait pour bénéficier de la production des océans avec le minimum d’effets sur la ressource exploitée, les fonds marins, les captures accidentelles ou de juvéniles [les poissons qui ne sont pas encore en âge de se reproduire, ndlr]. Les marges de progression sont phénoménales car en protégeant vraiment les juvéniles, ce serait possible de pêcher la même chose qu’aujourd’hui en laissant deux fois plus de poissons dans l’eau. Ce qui contribuerait à améliorer l’écosystème et l’alimentation des autres poissons et des animaux marins. A partir du moment où cette spirale vertueuse est enclenchée, il faut repenser les engins et sortir du chalut. Enfin, il y a aussi l’idée qu’on veut maximiser l’utilité économique et sociale de la pêche. Elle doit être riche en emplois pour aller vers des sociétés du littoral plus résilientes.
Le chalut, c’est la méthode qui a le plus d’impacts sur les océans ?
Il représente 40 % des captures, mais pour certaines espèces comme la morue ou la langoustine, on est à 100 %. Ce sont souvent des espèces à forte valeur commerciale qui sont prises au chalut, donc économiquement il est très intéressant. C’est un filet en forme d’entonnoir qu’on traîne sur le fond. C’est très efficace mais il ramasse tout sur son passage donc il y a du gâchis. Surtout, il racle les fonds marins, qui sont peuplés d’une espèce de forêt, composée essentiellement de vers marins, de mollusques, de petits crustacés, d’étoiles de mer, d’anémones… bref, de tous les invertébrés marins qui sont à la base de la chaîne alimentaire. C’est comme un paysan qui moissonnerait son champ et enlèverait tout l’humus de son sol. De décennie en décennie, on n’a plus les mêmes espèces qui se renouvellent, et la productivité de l’océan se dégrade. Les pêcheurs disent «on fait des efforts, on devrait voir les captures remonter, pourquoi ça ne marche pas?». Parce que la machine de l’écosystème océanique fonctionne de moins en moins bien.
Dernier inconvénient : pour tirer un chalut il faut une grosse force de traction, donc un gros moteur qui consomme beaucoup de gazole. Quand le prix augmente, la pêche devient moins rentable. Pour pêcher un kilo de poissons au chalut, il faut un à deux litres de gazole. Ce qui pose un problème de rentabilité et d’émissions de CO2. Si on veut arrêter la mort lente de la pêche, il faut arrêter le chalut.
Les autres méthodes sont mieux-disantes ?
Celles qui ont beaucoup d’avantages, ce sont les arts dormants comme les casiers, les lignes et les filets. Ils ont comme avantage d’être sélectifs et de laisser venir les poissons. On a des filets à sole, des lignes à bar, des casiers à homards ou à crabes. Ils n’impactent pas les fonds marins et consomment moins de CO2. On peut même imaginer aller vers des bateaux moins polluants, à voile et électrique. Ce qui ne serait pas envisageable pour les chaluts, qui sont trop lourds. Le seul problème, ce sont les captures accidentelles d’oiseaux [avec les lignes] et de mammifères marins [avec les filets], mais on cherche des solutions. L’engin parfait, c’est le casier. Or, il y a des crustacés comme les langoustines qui sont exploités à 100 % au chalut en France, alors qu’en Islande c’est exclusivement au casier. Si on ferme 10% de la zone des langoustines au chalut puis qu’au bout d’un an on utilise le casier, on aura des langoustines plus grosses qui se vendent plus cher. On dépensera ainsi moins de gazole et au bout de quelques années ça peut être beaucoup plus rentable. L’Ifremer [Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer] travaille aussi sur un casier à poissons. Je ne dis pas que ça va se faire d’un claquement de doigts mais on a devant nous dix ou vingt ans pour inventer une pêche douce dans laquelle on pourra pêcher des poissons au casier.
Est-ce que les pêcheurs sont prêts à amorcer cette transition ?
La fermeture du golfe de Gascogne, qui pour moi n’était pas la solution, a eu comme effet positif qu’un certain nombre de pêcheurs se sont dit «il faut qu’on arrête d’être dans le déni face aux ONG, car à la fin ce sont elles qui gagnent». Ils ont eu cette intelligence de se remettre à discuter avec les ONG pour trouver des solutions. Il y a une prise de conscience, mais la solution ne peut venir que d’une coconstruction avec les pêcheurs, qui doivent être accompagnés par les pouvoirs publics.
Par contre, quand je dis qu’il faut arrêter le chalut, on me répond souvent que je veux la destruction de la pêche. Or, les chalutiers ont déjà perdu 30 % de leurs captures au cours des dix dernières années. Depuis les années 90, des plans de sortie de flotte ont été lancés périodiquement, pour envoyer des bateaux à la casse. Si on ne fait rien, on aura une déchalutisation sauvage, on perdra l’outil de production au niveau national et donc on augmentera les importations de poissons. C’est une catastrophe humaine et environnementale. On est déjà dans une logique de déclin du secteur de la pêche. Il faut maintenant inventer le post-chalut.