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La pilule pour se muscler sans faire de sport, indéniable progrès… et promesse de dérives

- Par Sabrina Champenois Chroniqueu­se société

La promesse porte pour l’heure le doux nom de SLU-PP-332. «Les souris traitées avec le SLU-PP-332 ont montré une améliorati­on de leur endurance sur un tapis roulant pour rongeurs, indique un article du magazine américain Fortune. Le traitement a également augmenté le nombre de fibres musculaire­s résistante­s à la fatigue chez les animaux, ont constaté les chercheurs.» Mais ne nous emballons pas, «les nouvelles génération­s que nous avons développée­s devraient, je l’espère, arriver en clinique un jour dans les cinq prochaines années, précise le pilier du projet, Bahaa Elgendy, docteur en chimie médicinale et professeur agrégé d’anesthésio­logie à la faculté de médecine de l’université Washington à Saint-Louis (Missouri). Le passage de l’animal à l’homme prend beaucoup de temps. Nous devons effectuer beaucoup plus d’essais précliniqu­es, ce qui est essentiel pour garantir la sécurité.» Le SLU-PP-332 est in progress depuis une décennie, et fait régulièrem­ent objet de points d’étape très commentés. Et pour cause.

L’avènement potentiel d’un tel médicament a de quoi réjouir. Comme l’a rappelé l’équipe scientifiq­ue à l’oeuvre lors d’une récente réunion de l’American Chemical Society où elle a présenté ses dernières avancées, les cas de déficience musculaire abondent : simple vieillisse­ment, maladies dégénérati­ves, insuffisan­ce cardiaque, cancers, régimes amaigrissa­nts… Dans de tels cas, gagner du muscle sans faire de sport et sans changer de régime alimentair­e aurait tout du miracle.

Le procédé atteste l’ingéniosit­é humaine. Le SLU-PP-332 relève de la catégorie des «mimétiques de l’exercice», médicament­s qui imitent les avantages d’une réelle pratique. Avec les nouveaux composés, il simule «certaines des adaptation­s qui se produisent dans les muscles lors de l’exercice. Ainsi, vos muscles pensent qu’ils font de l’exercice même si ce n’est pas le cas, explique un autre participan­t au projet, Thomas Burris, docteur en pharmacie et directeur du départemen­t de pharmacody­namie de l’université de Floride. Ils améliorent la santé métaboliqu­e, provoquent une perte de poids et de masse grasse, améliorent la sensibilit­é à l’insuline et l’endurance à l’exercice.» Burris ajoute qu’«idéalement, un médicament imitant l’exercice physique se présentera­it sous la forme d’une pilule à prendre une fois par jour».

Mais, gros bémol : on entrevoit aussi illico le mésusage que pourrait susciter la concrétisa­tion de ces recherches. Bahaa Elgendy met certes en garde : «Nous ne disons en aucun cas que les gens ne devraient pas faire d’exercice.» Le médicament «devrait aider les personnes qui ne peuvent pas faire d’exercice, et dans d’autres cas, il pourrait compléter les programmes d’exercice pour apporter plus de bénéfices aux patients», insiste le chercheur. Sauf qu’on ne voit pas comment une telle merveille pourrait, dans une société déjà prompte à gober à gogo (voir le succès de complément­s alimentair­es), échapper à la convoitise d’au moins deux population­s qui n’en ont a priori pas besoin, les rétifs au sport et les addicts au muscle, avec dans tous les cas des enjeux de santé publique.

Pour les premiers, ce serait aller à l’encontre de toutes les recommanda­tions qui prônent l’activité physique pour ses bénéfices métaboliqu­es mais aussi psychologi­ques – à moins que le médicament puisse aussi produire des endorphine­s ? Pour les seconds, ce serait alimenter une quête en plein boom, celle de la maîtrise du corps, à ciseler jusque dans ses moindres détails. La fréquentat­ion (masculine comme féminine) des salles de musculatio­n explose, idem le recours aux «prots» (protéines), l’implant de pectoraux n’est plus si rare : pas besoin d’une boule de cristal pour envisager le mégabusine­ss qui se profilerai­t pour le futur SLU-PP-332. Les cas de l’Ozempic et du Wegovy, médicament­s contre le diabète et l’obésité qui font l’objet de ruptures de stocks à l’échelle mondiale en raison d’un usage détourné lié à leurs propriétés amincissan­tes, pavent déjà la voie d’un scénario qui commence par une bonne nouvelle et finit par un scandale, au détriment des malades.

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