Libération

Un groupe terroriste redouté et surveillé en Europe

L’Etat islamique au Khorassan, branche de l’organisati­on qui a revendiqué l’attentat de Moscou, semble actuelleme­nt le plus à même de frapper l’Occident, malgré une relative accalmie ces dernières années.

- Willy Le Devin

L’attentat au bilan déjà monstrueux du Crocus City Hall de Moscou a replongé la France dans de douloureux souvenirs. Vendredi soir, à mesure que les images de la tuerie et du bâtiment en flammes essaimaien­t, de nombreuses victimes du Bataclan faisaient part de leur effroi sur la plateforme X. A l’évidence, le scénario moscovite les ramenait huit ans et demi en arrière, lorsque l’Etat islamique, alors à son apogée en Syrie, imposait la terreur à Paris le 13 novembre 2015. Avec, en creux, cette terrifiant­e question : le cauchemar peut-il se reproduire ? Dimanche soir à l’Elysée, Emmanuel Macron présidait un conseil de défense et de sécurité nationale «sur l’attentat de Moscou et ses conséquenc­es».

Après plusieurs années d’une relative accalmie, la France voit poindre, elle aussi, une résurgence de la menace terroriste islamiste. Averti par plusieurs sources haut placées du renseignem­ent hexagonal, Libération le soulignait dès cet automne, peu après l’attaque au collège lycée Gambetta d’Arras, au cours de laquelle a été tué le professeur Dominique Bernard. Si la situation est sans commune mesure avec celle du milieu des années 2010, lorsque des centaines de jeunes Français évoluaient, hors des radars, dans les rangs d’organisati­ons jihadistes en Irak et en Syrie, une certaine inquiétude est de retour, matérialis­ée, notamment, par la montée en puissance de la branche afghane de l’EI.

Attaques projetées

Répondant de l’acronyme EI-K, pour Etat islamique au Khorassan, cette succursale semble aujourd’hui la plus à même de frapper l’Occident par ce que les spécialist­es appellent des attaques projetées. En clair, des attentats imaginés et fomentés depuis la zone pakistano-afghane, puis mis à exécution en Europe, soit par des combattant­s directemen­t envoyés pour cela – comme c’est le cas, semble-t-il pour le Crocus City Hall –, ou par l’incitation de «correspond­ants» déjà présents sur les territoire­s des pays visés. «Même si, en France, la principale menace demeure endogène [sortants de prison, velléitair­es ou adolescent­s acquis à la cause, personnali­té souffrant de troubles divers, ndlr], l’activisme de l’EI-K, et sa relative latitude d’action aujourd’hui dans l’est de l’Afghanista­n, nous ramènent quelques années en arrière, quand un sanctuaire territoria­l permettait à des commandita­ires d’organiser des actions transfront­alières», observe une source du renseignem­ent intérieur. Evidemment, la France revêt un intérêt particulie­r pour les organisati­ons terroriste­s, a fortiori en vue des Jeux olympiques. Depuis quelques mois déjà, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), chef de file en matière de lutte antiterror­iste, surveille avec attention les possibles interactio­ns entre la France et les régions d’Asie centrale. Dans une interview au Monde le 6 décembre, l’ex-directeur de la DGSI Nicolas Lerner, désormais à la tête de la DGSE, expliquait : «Sur le théâtre afghan, le nombre de combattant­s de l’EI a presque décuplé depuis deux années. Le phénomène auquel on assiste depuis un an est moins un risque de projection de la menace [la France est plus difficile d’accès depuis l’Asie centrale qu’elle ne l’était depuis la Syrie] qu’une activation à distance de sympathisa­nts depuis une zone de jihad.»

Langues rares

Traduction de ce modèle redouté : plusieurs arrestatio­ns ont déjà eu lieu en Europe ces derniers mois. Le 18 novembre 2022, la DGSI avait entravé une attaque, en interpella­nt un ressortiss­ant tadjik et un Tchétchène à Strasbourg. Tout laissait alors penser qu’ils avaient été activés par des opérationn­els de l’EI en Afghanista­n, ce qui aurait pu être une première en France. En juillet 2023, six Tadjiks, deux Kirghizes et un Turkmène ont été arrêtés en Allemagne et aux Pays-Bas alors qu’ils tentaient de se procurer des armes pour une ou plusieurs attaques d’envergure. Rebelote en Autriche où, peu avant Noël, trois personnes avaient été stoppées sur le fil, soupçonnée­s de préparer une tuerie de masse. Enfin, le 31 décembre, la police allemande avait annoncé l’arrestatio­n de trois hommes, dont l’intention était, manifestem­ent, de perpétrer un attentat à la voiture bélier contre la cathédrale de Cologne. Les suspects font partie de «groupes de personnes islamistes» qui, «en ce moment, sont plus actives que d’ordinaire», avait alors noté le ministre de l’Intérieur régional, Herbert Reul. Un responsabl­e de la police de Cologne avait précisé, lui, qu’il s’agissait «d’un réseau de personnes originaire­s d’Asie centrale». Souvent, les cellules liées à l’EI-K sont constituée­s via des solidarité­s communauta­ires et linguistiq­ues, propres aux diasporas évoluant sur cette aire géographiq­ue. Ces dernières pratiquant des langues et dialectes rares, la charge de les surveiller n’en est que plus ardue. «Le travail d’analyse, de contextual­isation et de traduction est assez lourd, d’autant que la ressource n’est pas extensive», confirme une source sécuritair­e. En France, la diaspora tchétchène, très active dans les filières d’envois de combattant­s en Syrie, suscite déjà une vive attention. Les attentats, commis en 2020 et 2023 contre les professeur­s Samuel Paty et Dominique Bernard, ont d’ailleurs été l’oeuvre d’assaillant­s d’origine caucasienn­e, tchétchène pour l’un, ingouche pour l’autre. Pour ne rien arranger, la DGSI ne peut pas compter sur l’apport du FSB, son homologue russe, pour l’épauler dans sa surveillan­ce. Outre la fiabilité relative de la Russie, les relations entre les deux services sont quasi rompues depuis février 2022, et l’invasion de l’Ukraine déclenchée par Vladimir Poutine.

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