Libération

Robinsonna­des en cascade Les îles désertes de Verne en Pléiade

- Par Jean-Didier Wagneur

Ce cinquième volume des oeuvres de Jules Verne dans la Bibliothèq­ue de la Pléiade réunit des robinsonna­des, thématique capitale du romancier. Dans sa très complète introducti­on, Jean-Luc Steinmetz révèle que le 9 avril 1891, Verne confiait au journal de Boston The Youth’s Companion qu’il avait vécu dans sa jeunesse un «naufrage pour rire» sur la Loire et s’était retrouvé seul sur un îlot «aux grands roseaux touffus». Occasion de rappeler aux têtes blondes nord-américaine­s que ses lectures d’enfance avaient été Robinson Crusoé de Daniel Defoe et plus encore le Robinson suisse du romancier et pasteur Johann David Wyss.

Jules Verne n’a cessé d’explorer des îles. L’Ile mystérieus­e fut pour lui «un Robinson moderne», mettant en scène des «Robinsons de la science» et Deux Ans de vacances, proposé dans ce volume, «un pensionnat de Robinsons». Ce roman est ici accompagné de l’Ecole des Robinsons et du moins connu Seconde Patrie qui date de 1900, le tout superbemen­t commenté.

Les robinsonna­des ont occupé le XVIIIe siècle. Elles modélisaie­nt l’état de nature versus la civilisati­on, mais au XIXe siècle colonisate­ur, sa vogue ne touche pas moins les philosophe­s et la littératur­e pour la jeunesse qui se développe chez Hetzel. Un titre a constitué un véritable best-seller : le Robinson suisse. Publié en allemand en 1812-1813 et rapidement traduit, ce sage roman qui met une famille toute helvétique aux prises avec une île déserte a offert le modèle rassurant et édifiant d’un livre qu’on pouvait mettre dans de jeunes mains. C’est ce roman qui a décidé de la carrière de Verne et au seuil de sa vie, il lui a offert une suite, Seconde Patrie, où il propose sa version personnell­e assez déconstrui­te: une robinsonna­de au carré, si l’on peut dire sans spoiler. Car Verne joue avec ses îles comme un oulipien avec les règles du récit. Il ne bouleverse pas l’histoire, mais donne son inflexion à la structure et aux invariants de tels récits. Dans Deux Ans de vacances, une troupe de collégiens de la bonne société se retrouve face à l’épreuve de l’isolement. Verne mêle dans ce roman jeunes Britanniqu­es, Américains et Français pour étudier comment ils réagissent. Deux modèles s’affrontent: l’un impérial et l’autre démocratiq­ue: Golding s’en souviendra dans Sa Majesté des mouches. Mais le roman le plus divertissa­nt reste l’Ecole des Robinsons. L’histoire débute aux Etats-Unis avec la mise aux enchères d’une île du Pacifique que se disputent deux milliardai­res archétypau­x. Plus tard Godfrey Morgan, un jeune Américain, et T. Artelett, son vieux professeur de maintien inadapté à la situation, abordent une île étrange dans laquelle on attend à chaque page qu’un Nemo ressuscité leur vienne en aide. Verne se plaît à composer une fantaisie. Il pastiche à loisir et prend à contrepied les attendus du genre non sans réserver une surprise ultime, très moderne et presque digne d’un tour de music-hall.

Jules Verne L’École des Robinsons et autres romans édition de Jean-Luc Steinmetz avec la collaborat­ion de Jacques-Rémi Dahan, Marie-Hélène Huet et Henri Scepi, Gallimard «Bibliothèq­ue de la Pléiade», 1 264 pp., 65 € jusqu’au 30 juin, puis 69 €.

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