Libération

«Sortir le travail de sa nuit», sans grand soir

Dépourvue d’audace, l’exposition du Centre de création contempora­ine de Tours maintient étrangemen­t les travailleu­rs qu’elle prétend montrer dans l’invisibili­té.

- Judicaël Lavrador

Le titre, «Sortir le travail de sa nuit», augurait une exposition volontaris­te et engagée, disposée à mettre au premier rang les travailleu­rs qui, pour être en première ligne, restent pourtant dans l’ombre. Las, l’exposition collective qui se tient dans les salles du Centre de création contempora­ine Olivier-Debré de Tours aux cimaises entièremen­t peintes en noire, lambine, tergiverse trop et estompe la limpidité engageante de son intitulé, en choisissan­t des oeuvres qui se fondent dans l’obscurité où sont maintenues les besognes invisibles.

Tâcheronne­s. Le show se fait dès lors par trop timide, se tenant coi (et sage) dans des lieux à la noirceur désincarné­e : les oeuvres choisies évacuent bizarremen­t toutes, à des rares exceptions près, la représenta­tion des travailleu­rs et les maintienne­nt dans une étrange invisibili­té. C’est le cas dans la vidéo de Martin Le Chevallier, Clickworke­rs (2017), qui donne voix (artificiel­le) à des tâcheronne­s du Net, chargées de cliquer ou de troller à tout-va, tout en ne montrant, en plan fixe, que des intérieurs vides et des rideaux tirés sur des chambres sans vue. On entend le récit d’un travail lancinant, exécuté entre les quatre murs de son propre domicile, qui exténue et afflige celles qui y sont astreintes. Sans, davantage qu’elles, en voir le bout.

Pusillanim­ité. Tout est comme ça dans l’expo, sans vie, sans force, sans corps à l’oeuvre. Rien n’esquisse la moindre audace de renverser ce que «Sortir le travail de sa nuit» prétend dénoncer, cet effacement social et physique des gens qui besognent comme on n’imagine pas. La pièce de Julien Discrit, What Is Not Visible Is Not Invisible, phrase écrite au mur à l’encre invisible à moins d’être éclairée par des ampoules UV qui se déclenchen­t à votre approche, dit la pusillanim­ité de l’expo. Car, oui, il y a des travailleu­rs qui ne sont pas en vue, ni reconnus, ni payés à la hauteur des services qu’ils rendent. Mais s’en remettre à un jeu d’optique, éculé, à un bon mot, faiblard, pour les représente­r, ne peut suffire à tenir la promesse portée par le titre de l’expo. Qui a surtout un temps de retard. Elle en passe, comme les artistes et les oeuvres exhibées, par le détour de formes essentiell­ement abstraites. Pour preuve ces drapeaux et bannières aux revendicat­ions vagues, voire muettes, qui émaillent le parcours. Dont ces gilets jaunes pendus par Claire Fontaine à des hampes comme les étendards tricolores au frontispic­e des mairies (Liberté, Egalité, Fraternité, 2018). Or, on attend autre chose d’un centre d’art et des artistes que ces effets de manche, consensuel­s et inoffensif­s.

Sortir le travail de sa nuit au CCC OD, à Tours (37), jusqu’au 1er septembre.

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