A Bercy, Attal joue les VRP de son plan antifraudes
Le Premier ministre a dressé mercredi un bilan laudateur du plan contre les fraudes fiscales et sociales, vantant des mises en recouvrement en hausse et plus de moyens de contrôle. Dans les faits, les sommes récoltées sont à relativiser.
Ce n’est pas parce qu’il est Premier ministre qu’il ne se soucie plus de la lutte contre les fraudes fiscales, sociales et douanières. C’est le message que Gabriel Attal a voulu faire passer en se rendant à Bercy, mercredi matin, pour dresser un bilan du plan qu’il a annoncé il y a un peu plus de dix mois. Aux côtés de son successeur, Thomas Cazenave, et en l’absence de Bruno Le Maire, l’ex-ministre délégué aux Comptes publics a ressorti ses formules de l’époque. La fraude est «un impôt caché sur les Français de classes moyennes qui travaillent et respectent les règles», a-t-il martelé devant la presse et des parlementaires conviés la veille à la hâte.
Pour parler de ces mesures qu’il a initiées mais peu mises en oeuvre – il a quitté Bercy en juillet pour rallier l’Education nationale, avant de finir à Matignon six mois plus tard… –, Attal choisit l’emphase. Ce plan serait «inédit par son approche», s’attaquant «à toutes les fraudes, avec la même détermination, avec la même sévérité». Il aurait – carrément – brisé «un tabou», en n’établissant «pas de hiérarchie entre la fraude sociale et fiscale» – alors que les ordres de grandeur ne sont pas du tout les mêmes. Il en fait un marqueur de sa politique : «Ces résultats [qualifiés d’«historiques» quelques minutes plus tôt, ndlr] ne tombent pas du ciel. Ils montrent qu’avec de la volonté politique et avec l’engagement exceptionnel de l’ensemble des agents, nous parvenons à des résultats», une illustration de «[sa] méthode»: «La vérité, de l’action, et des résultats.»
Quels sont ces résultats? Concernant la fraude fiscale, 15,2 milliards d’euros en 2023 ont été mis en recouvrement (4 % de plus qu’en 2022). Sur celle aux cotisations sociales, le chiffre était connu, les sommes redressées par les Urssaf atteignent 1,18 milliard d’euros, 50% de plus que l’année précédente. Pour ce qui est des fraudes aux prestations sociales, 450 millions de préjudice ont été détectés par les CAF, 200 millions par l’assurance vieillesse et 450 millions par l’assurance maladie. Quant aux douanes, elles ont saisi 70 tonnes de cannabis et 163 millions d’avoirs criminels (en baisse par rapport aux 175 millions de 2022).
«Traque». Mais ces montants sont à relativiser. D’abord, ils correspondent aux sommes «mises en recouvrement», donc bien plus importantes que celles récupérées, dont les progressions sont moindres. Ainsi pour la fraude fiscale, 10,6 milliards ont été encaissés, comme en 2022. Pour les Urssaf, 79,6 millions d’euros – soit 7 % des sommes mises en redressement – ont été versés dans les caisses de la Sécurité sociale en 2023. Ces montants – bien inférieurs à ceux annoncés –, Gabriel Attal ne les a pas mentionnés dans son discours, c’est le cabinet de Thomas Cazenave qui les a précisés après la conférence de presse. Ensuite, si la «traque» progresse bien, elle ne porte que sur une infime partie du montant total des fraudes. Si celui-ci n’est pas connu, des estimations existent. Ce serait de 60 à 80 milliards d’euros pour la fraude fiscale. Sur celle aux cotisations, le Haut Conseil pour le financement de la protection sociale évaluait le manque à gagner sur le travail dissimulé à 6 milliards d’euros. Quant à la CAF, elle estimait le coût de la fraude à 2,8 milliards d’euros en 2021. A remettre en perspective également, les moyens mis en oeuvre pour renforcer les contrôles. Contre la fraude fiscale, «281 agents ont été recrutés l’an dernier, et 350 le seront en 2024», a insisté Attal. En tout, 1 500 postes supplémentaires dédiés au contrôle (jusqu’en 2027) ont été annoncés l’an dernier dans le cadre de ce plan. A mettre en regard des «3 000 à 4 000 emplois supprimés depuis la fin des années 2000 au sein des services de contrôle», selon les calculs de Vincent Drezet, exsecrétaire général de Solidaires finances publiques.
«Simplicité». Le Premier ministre se retrouve face à une équation budgétaire plus délicate que prévue. Les 10 milliards d’euros supplémentaires coupés par décret dans le budget de cette année risquent de ne pas suffire à respecter la trajectoire de réduction du déficit, d’autant que le déficit de 2023 pourrait être bien plus élevé que les 4,9 % du PIB inscrits dans les lois de finance – l’Insee publiera mardi la statistique. «La lutte contre la fraude fait partie des axes qui sont les nôtres pour améliorer les recettes sans avoir à augmenter les impôts des Français», a-t-il martelé.
Sans non plus laisser penser que cela serait l’unique remède, puisqu’il veut se démarquer de ses adversaires politiques, et notamment de Marine Le Pen, qui fait de la lutte contre les fraudes l’un des moyens, avec sa politique xénophobe, de financement du programme du Rassemblement national. Attal met sur le même plan «les extrêmes» (sic) pour qui «la lutte contre la fraude est la solution de simplicité par principe […] pour expliquer le pseudo-financement de leurs programmes». «Pour l’extrême gauche, c’est la fraude fiscale. Pour l’extrême droite, c’est la fraude sociale, a-t-il ajouté. […] On a le sentiment qu’avec eux, par magie, on serait 100 fois plus efficaces dans la lutte contre la fraude.» Preuve que le retour à Bercy du Premier ministre était, avant tout, pour faire de la politique. Et commencer à remplir les cases de son propre bilan. •