Dérouler le tapis rouge à la soeur de Xavier Dupont de Ligonnès est irresponsable et indécent
Au départ on a tendu l’oreille, par curiosité un peu malsaine pour ce crime non élucidé, un feuilleton qui continue de passionner les foules. Mais très vite, on a levé un sourcil perplexe face à ce que tout esprit sensé ne peut considérer que comme des élucubrations. Avant de ressentir en fin de compte un profond malaise. La tournée médiatique de la soeur de Xavier Dupont de Ligonnès, Christine, et de son mari, qui publient un livre pour dire leur «vérité» sur l’affaire, aux antipodes des constatations de l’enquête, est révélatrice de la façon dont la course au sensationnalisme et plus concrètement à l’audience fait parfois valdinguer toute exigence journalistique. Le couple a notamment pu faire la promo de ses délires chez Léa Salamé, le 9 mars, dans son émission Quelle époque !, le principal talk-show de la première chaîne publique, avec le privilège d’être interviewés sans que les autres invités de la soirée ne soient présents en même temps qu’eux, mais aussi lundi dans la soirée sur BFM TV, où la contradiction leur a été plus sérieusement apportée. «Normalement, il saute aux yeux de n’importe quel journaliste qu’il ne faut pas inviter ces deux illuminés ! Et ben non, manifestement ils enquillent les interviews ! Misère !» La sentence publiée sur le réseau social X (ex-Twitter) est de Christophe Hondelatte, dont l’appétit pour les faits divers n’est plus à démontrer. On y souscrit pleinement. La famille de l’épouse de Xavier Dupont de Ligonnès, tuée avec ses quatre enfants en 2011, a émis «les plus expresses réserves» sur les propos de la soeur du suspect, qui clame l’innocence de son frère. Et qui défend l’hypothèse d’une mise en scène par les services de l’Etat alors que Xavier Dupont de Ligonnès était en fait un agent secret. Selon elle, son frère ainsi que sa famille seraient vivants et auraient été exfiltrés aux Etats-Unis pour les protéger d’une menace sur laquelle elle reste vague. C’est peu dire que ces affirmations ne collent pas le moins du monde avec les éléments incontestables mis en lumière par les nombreuses analyses de la police scientifique, notamment des prélèvements ADN qui ont contribué à identifier formellement les enfants et la femme de Xavier Dupont de Ligonnès.
Que la soeur du suspect veuille croire son frère innocent et qu’elle cherche à le dire au plus grand nombre en publiant un livre avec son mari, c’est bien leur droit. La question n’est pas là. Mais il y a une forme d’irresponsabilité à offrir un micro complaisant à ses thèses complotistes. Recueillir la parole de cette femme – dont il faut quand même rappeler que des années durant elle s’est dite enceinte de Lucifer – en la mettant quasiment au même niveau de crédibilité que des policiers ayant travaillé depuis 2011 sur le dossier est tout bonnement indécent. Il s’agit d’une forme de profanation morale alors que dans ce dossier cinq personnes, dont quatre enfants, ont bel et bien perdu la vie.
Le seul mystère qui demeure tourne autour de la culpabilité de Xavier Dupont de Ligonnès, même si tout l’indique, et surtout de sa localisation, lui qui a disparu depuis les faits. A ce titre, l’article du Parisien publié lundi, dans lequel on apprend que les enquêteurs ont auditionné Jean-Claude Romand, criminel qui avait défrayé la chronique pour avoir assassiné sa famille après lui avoir menti pendant des années, et qu’ils ont mené des investigations autour d’une secte italienne sont, eux, des éléments journalistiquement légitimes. Et s’ils suscitent l’intérêt du public, c’est pour de bonnes raisons, loin des affirmations extravagantes de la soeur du fugitif le plus célèbre de France – lequel pourrait être renvoyé devant les assises, ce qui signifiera la fin de l’enquête mais pas celle des fantasmes, deux dimensions qu’il s’agit de distinguer et donc de traiter différemment.