Yannick Jadot : «Remplacer le plombier polonais par les poulets ukrainiens, c’est contre nos valeurs»
Le sénateur écologiste de Paris explique pourquoi son parti revendique le fédéralisme, tandis qu’une partie de la gauche s’en éloigne.
Après trois mandats à Strasbourg, Yannick Jadot est désormais sénateur Les Ecologistes de Paris. Pour lui, la gauche ne doit pas avoir peur de revendiquer «plus d’Europe».
La gauche française a-telle désormais le fédéralisme honteux ?
Pas les écologistes. Mais c’est vrai que le mot est aujourd’hui mal perçu. Pourquoi sommes-nous fédéralistes ? Parce que nous pensons qu’il faut construire de la souveraineté, de la capacité à agir aux échelons les plus pertinents, les plus efficaces. Nous sommes pour plus d’Europe sur le social, l’industrie, la fiscalité, l’immigration, la défense. Ce ne sont pas des compétences européennes réelles et nous constatons que nos pays sont plus faibles lorsque les politiques de chacun en la matière divergent. Le mot «fédéralisme» n’est plus compris comme «politiques communes» mais renvoie à des questions institutionnelles. «plus d’Europe»
Mais ce est devenu difficilement audible, y compris à gauche. Comment l’expliquer?
Pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine, massacre à Gaza, chocs climatiques… Les Européens sont embarqués sur un bateau pris en pleine tempête. Pour en sortir, il y a la solution de l’extrême droite d’abandonner cette embarcation, pourtant puissante, pour s’enfuir sur des barques nationales et retourner en arrière. C’est la régression nostalgique et le naufrage assuré. Il y a ensuite la solution de ceux qui dirigent cette Europe : les libéraux et les conservateurs qui n’ont rien anticipé, malgré les alertes et la science, et considèrent aujourd’hui qu’il faut faire une «pause», en fait le statu quo. Cela peut paraître rassurant, c’est vrai, de vouloir souffler avec de tels bouleversements. Mais lorsqu’on est au milieu d’une tempête, on ne peut pas faire de «pause». C’est l’assurance d’être encore plus ballotté, d’aller là aussi vers le naufrage. Lorsqu’un bateau est pris dans une tempête, il faut au contraire bouger, avancer, choisir son cap et se redonner un peu de voile pour retrouver de la puissance et atteindre l’autre rive : se donner les moyens pour plus de justice sociale, plus de services publics, plus d’écologie. devons assumer ce débat, celui d’une plus grande «souveraineté européenne».
La «souveraineté européenne» est aussi revendiquée par Emmanuel Macron et Renaissance…
C’est bien le problème. Nous vivons dans un monde de communication où les mots sont utilisés à l’envers. Sur l’Ukraine, sous couvert d’une prétendue «souveraineté», Emmanuel Macron a inventé la diplomatie en solitaire qui déstabilise les Français, nos alliés et donc le soutien à l’Ukraine. Mais le général de Gaulle aurait-il laissé Total coopérer avec l’ennemi, à l’époque de l’Allemagne nazie, et importé du charbon alors que la France se fournit toujours en gaz et uranium issus de Russie? Le président de la République masque, à travers l’utilisation du concept de «souveraineté», une politique par et pour les plus puissants, qui ignore la destruction de l’environnement, l’injustice sociale et l’affaissement de nos services publics.
A gauche, on revendique de plus en plus le concept de «souveraineté». Le discours porté par François Ruffin plaît beaucoup à certains socialistes…
La souveraineté – je le répète – c’est, pour les écologistes, se donner les moyens de décider démocratiquement d’agir à l’endroit où c’est le plus pertinent. Sinon, ce souverainisme est un autre nationalisme. Remplacer la figure du «plombier polonais» par les «poulets ukrainiens», c’est en contradiction avec nos valeurs. Tout comme lorsqu’une partie de la gauche parle de «paix immédiate» entre Kyiv et Moscou, elle accepte de fait le joug de la Russie et l’anéantissement de l’Ukraine. C’est la Pax Russia impérialiste.
Y voyez-vous un retour à gauche des clivages connus lors du référendum de 2005 ?
Oui, malheureusement. Le projet de la gauche dite «radiNous cale» reste une stratégie d’opt-out : revendiquer le retour d’une prétendue souveraineté nationale et désobéir aux traités sur tel ou tel sujet quand on n’est pas d’accord avec les autres. Jean-Luc Mélenchon a toujours défendu cela. Mais si les Vingt-Sept se mettent à choisir les compétences à la carte, alors, à la fin, il restera trois radis au menu européen ! Ce serait une déconstruction de l’Europe par le bas.
A gauche, certains comptent sur cette élection pour modifier le rapport de force issu de la présidentielle ?
L’élection européenne est faite pour élire, à la proportionnelle, des députés européens qui font la loi européenne. C’est pour cela que j’étais contre une liste d’union dont le seul objectif était de préparer 2027. Mais cette élection dira aussi quel est l’état, à gauche, du projet européen. Dans un contexte post-Covid et de guerre en Ukraine et au Proche-Orient, est-ce que l’Europe est une partie de la solution ou du problème ? La protection du climat et du vivant, stop ou encore ? C’est ce que les électeurs de gauche doivent trancher le 9 juin.
«Si les VingtSept se mettent à choisir les compétences à la carte, à la fin, il restera trois radis au menu européen !»