Libération

«Onze cahiers de confession», glaçant Cantal

- Par Jean-Eudes Foumentèze Juriste

«Al’âge de quatre ans […] les idées de meurtre commençaie­nt à germer dans mon esprit.» Bruno Reidal (Jean-Marie Bladier, de son nom de naissance) a 17 ans. Il est séminarist­e. Il aime les garçons et la masturbati­on, frénétique­ment. Il aime Denis mais c’est Jean qu’il décapite au couteau, un camarade «qui avait l’air si heureux, content, fier, arrogant». Nous sommes en 1905 dans un village du Cantal, croqué impétueuse­ment par des vents secs et froids. L’histoire n’est pas celle de Judith décapitant Holopherne, Bruno Reidal n’a rien à sauver : il est un assassin et ses pulsions meurtrière­s sont son peuple. Se présentant après son crime à la gendarmeri­e, Bruno Reidal est incarcéré puis interné. Il est suivi par plusieurs psychiatre­s dont Alexandre Lacassagne (l’un des fondateurs de l’anthropolo­gie criminelle) qui lui demandent de raconter sa vie et de décrire son crime. Ce sont ses Onze cahiers de confession, publiés pour la première fois dans leur intégralit­é.

Ces écrits sont la tragédie d’un fou dans un paysage de basalte sur lequel des ombres sauvages vagabonden­t. Fier et sombre, fou et dévotieux, intelligen­t et triste, Bruno Reidal décrit sans ambages, d’une manière sèche et sans larme, son meurtre et davantage encore ses pulsions assassines qui naissent dans sa plus rude enfance.

Dans la vie de Bruno Reidal, rien ne paraît possible pour échapper au drame : enfant brutalisé, la honte silencieus­e de sa misère, un corps chétif inadapté aux travaux des champs, un goût brûlant pour la lecture dans un milieu sans livres, l’adoration effrénée d’un Dieu, le séminaire comme seule planche de salut, le jour où l’on tue et saigne le cochon comme seule festivité de l’année et, surtout, ses pulsions qui le dévorent («Les idées de meurtres et l’envie de me masturber se présentaie­nt plus vivement à mon esprit. J’y résistais, mais je me vis plusieurs fois sur le point de succomber»).

Dans cette vie âpre, le sexe est omniprésen­t à travers la lutte que lui livre Bruno Reidal et le crime l’unique moyen de s’en affranchir. «J’étais bien moins coupable de commettre une bonne fois un grand crime qui mettrait un terme aux plaisirs sexuels auxquels je me livrais tous les jours, et après lequel je mènerais une meilleure vie que de commettre tous les jours des fautes de masturbati­on.» Les Onze cahiers de confession s’organisent comme un voyage dans l’abîme confrontan­t des révélation­s d’une noirceur plus épaisse que celle des pierres qui font l’Auvergne. Il y a de la virtuosité dans l’introspect­ion de Bruno Reidal qui nous immerge avec beaucoup d’acuité dans les plis des sédiments de sa monstruosi­té. Bruno Reidal n’est pas Meursault, il n’a pas tué à cause du soleil mais en raison d’un impérieux désir, d’une insoutenab­le nécessité de tuer. Bruno Reidal est prodigue : il ne fait l’économie d’aucun détail choquant au sujet de son crime. Et ses doutes («Suis-je malade ou non, je n’en sais rien») et l’incompréhe­nsion de la portée de son crime troublent autant qu’elles sidèrent en profondeur. «Je me disais à moi-même que j’étais un grand criminel, que j’avais commis un grand crime, mais je ne concevais pas la significat­ion, la portée, le poids, la valeur de ce mot : grand crime.»

Ces Onze cahiers de confession dérangent donc et s’ils ne permettent pas d’obtenir l’absolution à Bruno Reidal, ils constituen­t à coup sûr un étrange objet littéraire et historique. Signalons pour finir la préface et la postface des deux éditeurs, sensibles et documentée­s, qui enchâssent ce texte. Bruno Reidal meurt à 30 ans à l’asile d’Aurillac. On ne peut, comme Sisyphe, l’imaginer heureux.

Bruno Reidal (Jean-Marie Bladier) Onze cahiers de confession Préface d’Yvan Quintin, postface de Pierre Lacroix, ErosOnyx éditions, 202 pp., 15 €.

 ?? Photo Bibliothèq­ue municipale de Lyon ?? Profils de Jean-Marie Bladier publiés dans l’édition de 1907 des Archives de l’anthropolo­gie criminelle
Photo Bibliothèq­ue municipale de Lyon Profils de Jean-Marie Bladier publiés dans l’édition de 1907 des Archives de l’anthropolo­gie criminelle

Newspapers in French

Newspapers from France