Libération

La vie avec l’hôte La jeune femme et l’étranger par Ariane Koch

- Par Frédérique Roussel

Une jeune femme habite seule une grande maison qui tombe en ruine, avec de chaque côté de l’entrée deux lions gueule ouverte et la patte posée sur une sphère. La montagne qui borde cette petite ville, sans doute suisse, lui fait de l’ombre. En face de chez elle, un café, la Tourelle, où elle navigue parfois, et boit des verres. La demeure familiale appartient à son frère et sa soeur, un jour ils décideront de la mettre dehors. Elle y est née et ne compte pas faire de vieux os. C’est ce qu’elle affirme en tout cas, mais elle dit tout et son contraire avec un joli ressasseme­nt façon Raymond Devos. «Parfois je me dis que je devrais arrêter de parler de partir, parce que j’ai déjà trop parlé de partir. Chaque jour, je parle de partir et je ne m’en lasse jamais. Je me demande s’il est seulement possible de rester quelque part quand on parle sans cesse de partir. Car celui qui ne parle que de rester, n’est-il pas au fond de lui-même parti depuis longtemps ?» Dans neuf des dix pièces s’empilent des cartons en prévision de l’envol, elle a oublié ce qu’ils contiennen­t.

Partir ou rester, le dilemme joue en thème majeur de l’Hôte, premier roman intrigant de la Bâloise Ariane Koch, qui écrit aussi pour le théâtre. Il se matérialis­e dans «l’hôte», un étranger arrivé un jour dans la gare de la petite ville, sacs plastiques à la main. La narratrice lui ouvre la porte de la maison décatie. «Mais on m’a inculqué qu’on se doit d’accueillir des hôtes. A plus forte raison quand ils traînent sans savoir quoi faire d’euxmêmes. Je sais pertinemme­nt quoi faire de moi-même et je le fais fort bien.»

On la trouve un peu tête à claques, généreuse de l’héberger (la responsabl­e du tourisme de la ville l’en félicite), égoïste de lui concéder seulement le cagibi où sont entassés les aspirateur­s, tyrannique de considérer que le ménage lui est dévolu. Leur vie à deux – rituels, incompréhe­nsions et approches – transpire par son ressenti à elle. Ils ne parlent pas la même langue, elle a des interpréta­tions parfois hasardeuse­s de ses comporteme­nts. La distance avec laquelle elle décrit, l’épie et dissèque l’hôte, paraît presque choquante tant elle est objectivan­te. Sans filtre, comme on dit, ou mieux, dénué de bons sentiments. Ariane Koch touche juste dans ce qu’elle dit du rapport à l’autre, à l’étrange étranger. L’hôte mange des quartiers de mandarine, elle frémit. «Exhiber devant moi des miniatures a toujours été une technique efficace pour me détourner de toute méchanceté.» La narratrice paraît insensible, puis agréableme­nt infantile. Buvant un café à la Tourelle, elle imagine tenir le bar dans le creux de sa main, et même la petite ville «qui rapetissai­t encore, pour ne plus former bientôt qu’un point minuscule». Dans l’Hôte, on trouve de nombreuses phrases lâchées tout de go, qui disent des vérités. «C’est dommage que l’on passe invariable­ment à côté du début des choses tandis que les fins se gravent dans nos corps.» •

Ariane Koch, l’Hôte Traduit de l’allemand (Suisse) par Benjamin Pécoud. Robert Laffont «Pavillons», 216 pp., 17,50 € (ebook : 11,99 €).

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