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A Belin-Béliet, apprendre à renaître de ses cendres

La ville du bassin d’Arcachon avait dû être évacuée lors des incendies de l’été 2022. Aujourd’hui, scientifiq­ues et élus cherchent à tirer les leçons de la catastroph­e.

- Éva Fonteneau Envoyée spéciale à Belin-Béliet

«C’est triste comme un jour d’hiver.» Depuis la fenêtre de sa maison, à Belin-Béliet, dans le sud de la Gironde, Pierrette, 89 ans, donnerait tout pour retrouver sa «vue d’avant» : celle où elle apercevait la maison, intacte et paisible, de son petit-fils, construite à quelques mètres. Celle où la forêt se dressait à l’horizon, verte et fringante. Celle où elle croisait ses voisins encore insouciant­s, «avant que tout ne soit bouleversé». Derrière ses carreaux, un an et demi après que l’incendie de Landiras a réduit en cendres 3 700 des 13 500 hectares de pins de la forêt qui jouxte son terrain, il n’y a plus que des arbres noircis et des murs éventrés par la violence des flammes. «La reconstruc­tion du logement de mon petit-fils avance enfin, mais ça a été long. Pour les autres, il me semble qu’ils se battent encore avec les assurances», soupire-telle. Le hameau de L’Ambéliet, où elle réside avec son mari, Robert, a été parmi les plus sinistrés: une quinzaine de bâtiments, dont dix maisons, ont été entièremen­t détruits par le feu en août 2022. La commune du bassin d’Arcachon et ses 5000 habitants avaient dû être évacués en urgence, le temps de maîtriser le «monstre de feu».

«Stigmates»

Tragique ironie, quelques semaines plus tôt, la municipali­té de Belin-Béliet avait répondu à l’appel à projets «Résilience des territoire­s face au risque feu de forêt» lancé par le départemen­t de la Gironde. A l’automne 2022, elle apprenait qu’elle était lauréate. Entretemps, un collectif de chercheurs en sciences humaines et sociales travaille sur le projet de recherche-action Popsu «Habiter les cendres : la forêt girondine après l’incendie de 2022». Les villes d’Hostens, Saumos, Landiras et le quartier de Cazaux (La Testede-Buch), touchés la même année par les mégafeux, font également partie du programme. «Incendies, tempêtes, inondation­s… C’est une évidence, les aléas climatique­s vont être de plus en plus fréquents. Cela nous oblige à revoir notre perception du risque et à accompagne­r les habitants avec beaucoup de pédagogie», analyse le maire, Cyrille Declercq. Comment réparer le traumatism­e humain et environnem­ental ? Une fois les chemins et les fossés nettoyés, les pistes retracées et les routes réparées, quel avenir pour les petites villes forestière­s? La restitutio­n du projet, attendue à l’automne, doit donner des éléments de réponse pour «mieux cerner les stigmates vécus post-catastroph­e» et «esquisser les formes possibles d’une politique d’aménagemen­t et de réappropri­ation territoria­le». Le quotidien des habitants est le point de départ de l’équipe de coordinati­on scientifiq­ue qui travaille notamment avec les étudiants en géographie de l’Université de Bordeaux-Montaigne. A partir de mars, ils vont portraitur­er des propriétai­res, des usagers de la forêt, des commerçant­s, des associatif­s… pour comprendre comment leur rapport à la forêt a évolué depuis les incendies. «Avec l’hypothèse que beaucoup d’entre eux ne la voyaient pas du tout comme une menace et qu’il y a une prise de conscience du risque. Nous voulons comprendre dans quelle mesure les feux ont changé leur perception de l’espace proche, et analyser comment la constructi­on d’un récit mémoriel participe aux transforma­tions du territoire», déroule Arthur Guérin-Turcq, doctorant en géographie. Il travaille avec la géographe Véronique André-Lamat.

Le chercheur constate par ailleurs qu’après avoir été pris au dépourvu, certains habitants commencent déjà à «oublier» la catastroph­e, car l’été 2023 a été plus clément. «Pourtant, nous savons déjà que plus les températur­es vont augmenter, plus les tensions vont être importante­s. Pour orienter l’action publique et mieux faire appliquer et évoluer les réglementa­tions, notre travail de recherche doit lever différents verrous, qu’ils soient économique­s, sociétaux, politiques…» Pascale Got, vice-présidente du départemen­t en charge de l’environnem­ent – elle chapeaute aussi la mission forêt –, le concède : «Il y a encore un gros travail d’acculturat­ion au risque à développer, non seulement pour les population­s, mais aussi pour les collectivi­tés.»

Reboiser

Dans ces villes forestière­s, plusieurs axes sont à mettre en oeuvre selon la feuille de route du projet «Habiter les cendres» : l’optimisati­on des plans de prévention des risques incendies avec l’aménagemen­t de nouveaux pare-feu ; la relocalisa­tion des activités économique­s et touristiqu­es; la restructur­ation de la filière bois… «Nous nous appuierons sur leurs conclusion­s mais nous avons déjà largement avancé à Belin-Béliet, explique Cyrille Declercq. En plus du gros travail pour nettoyer, réparer et redessiner les voies d’accès au massif forestier, elles sont élargies et mieux surveillée­s. La liaison entre l’aérien et le routier, qui avait joué un rôle prépondéra­nt dans la maîtrise de l’incendie, est renforcée. On retravaill­e aussi la gestion des eaux fluviales, pour éviter le risque d’inondation, plus important depuis la disparitio­n d’une grosse partie des pins qui jouait le rôle d’éponge.» L’élu précise que «des discussion­s sont déjà en cours pour savoir comment reboiser la forêt et avec quelles essences», en tenant compte de l’évolution climatique. «Un travail passionnan­t même si ce n’est pas simple de jouer l’arbitre pour protéger la population. C’est une très lourde responsabi­lité d’anticiper l’avenir.»

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