OmegaPro Le grand mirage d’un site de trading aux rendements pharaoniques
La plateforme internationale, qui promettait de l’argent facile sur le marché des changes via l’achat de «licences» en cryptomonnaies, est visée par plus de 2 000 plaintes en France. Certaines victimes avaient investi des centaines de milliers d’euros.
Au début, Marc G. a eu du mal à y croire. Des placements à 300% de rendement en seize mois, ça paraissait trop beau pour être vrai… Mais le type rencontré sur le bateau, lors d’une croisière sur l’Amazone entre Leticia (Colombie) et Manaus (Brésil), lui assurait que ça marchait: «Pendant quinze jours, on n’a parlé que de ça», raconte Marc G. à Libération. A son retour en France, c’est un voisin qui lui fait l’article : «Tu as entendu parler d’OmegaPro?» Alors, au printemps 2021, le Francilien assiste à une réunion à Paris, «avec 200, 300 personnes» : «un vrai show», à base de «belles images de Dubaï»… Dans la foulée, pour 1000 euros, il achète son premier «pack de trading». Sur la plateforme en ligne, le compteur tourne, les intérêts s’accumulent. Pourquoi ne pas miser plus ? Ce sera chose faite en août 2022. Il a vendu son fonds de commerce – un bar parisien –, payé les taxes et investi le reste sur OmegaPro : près de 250 000 euros. Depuis, il n’a pas revu son argent. Mercredi 27 février, 1872 personnes, dont Marc G., ont porté plainte contre X auprès du procureur de la République de Paris pour escroquerie, abus de confiance et pratiques commerciales trompeuses en bande organisée. L’association qui les réunit, Capital, réclame «une enquête approfondie […] contre les responsables de ce qui semble être une fraude à très grande échelle», d’ampleur internationale, souligne le communiqué de leurs avocats, Elias Bourran et Antoine Ory. Contacté, le parquet de Paris confirme avoir reçu cette plainte, sans autre commentaire à ce stade. Les floués français d’OmegaPro ont tous les âges, viennent de tous les départements, sont fonctionnaires, artisans, retraités: «Monsieur et madame Tout-le-Monde», résume le président de l’association, Franck Alexandre. L’éventail des sommes envolées ? «De 500 euros à des centaines de milliers»…
«Ça nous paraissait
tenir la route»
Quelque 3000 dossiers sont en cours de constitution pour de futures parties civiles. A quoi s’ajoutent les plaintes déposées ces derniers mois par trois autres avocats, Anthony Bem, Jocelyn Ziegler et Mourad Battikh. Les deux premiers, contactés par Libération, en annoncent respectivement «entre 250 et 300» et «une centaine» ; le troisième a fait état de 70 plaignants auprès du Parisien.
La plateforme Omegapro.world est apparue en ligne en 2019. Une consultation de la Wayback Machine, l’outil d’archivage du Web de la fondation californienne Internet Archive, permet de constater que le site a d’abord affiché des services de trading sur le marché des changes «à l’aide de l’intelligence artificielle», puis également sur le cours des actions ou des matières premières – avec la promesse d’intérêts mirifiques. En 2020, OmegaPro a aussi annoncé un temps du trading sur les cryptomonnaies, explique Stéphanie (1), qui s’est inscrite à l’été 2020. Les utilisateurs investissent via l’achat, en cryptomonnaies, de «packs de trading» ou «licences». Enfin et surtout, OmegaPro fonctionne au marketing de réseau : des bonus financiers, qui augmentent à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie de la «communauté», récompensent ceux qui font entrer de nouveaux investisseurs. C’est le cas de Stéphanie, payée comme apporteuse d’affaires, qui a gagné «45000 euros en 2022» : «C’était mon travail, comme une commerciale normale. Du jour au lendemain, j’ai tout perdu.»
La technique n’est pas neuve – elle a fait les riches heures de la société Tupperware– mais prend, dans l’univers des promesses d’argent facile, un relief particulier. Comme le souligne la plainte des membres de l’association Capital, que Libération a pu consulter : les méthodes d’OmegaPro «s’apparentent particulièrement aux fonctionnements habituels des pyramides de Ponzi», ces schémas de fraude dans lesquels les fonds des nouveaux entrants servent à rémunérer ceux qui les ont précédés – jusqu’à ce que le système s’écroule. Pourtant, malgré les soupçons de sites spécialisés, OmegaPro prospère. «Avant d’investir, j’ai demandé à être reçu à Dubaï pour rencontrer un des dirigeants, fait valoir Franck Alexandre. C’était en avril 2022. On était six ou sept, plus la personne qui m’avait coopté. Ça nous paraissait tenir la route.» Il achète alors pour 50 000 euros de licences, et parrainera, dit-il, une vingtaine de personnes, «des proches à [lui]». Sur les réseaux sociaux, d’aucuns lui reprochent aujourd’hui d’avoir activement promu la plateforme : «Si vraiment j’ai fauté, je serai attaqué. La plainte est contre X. L’important, c’est de retrouver l’argent pour tout le monde.»
A l’époque, OmegaPro est pourtant déjà mis à l’index par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Dès juin 2020, le régulateur français, alerté par des particuliers, s’est fendu d’un communiqué pour alerter sur les risques des «structures pyramidales proposant des formations au trading». En août, le site Omegapro.world a été placé sur la liste noire des entités non autorisées à proposer des services de trading sur le marché des changes, le Forex. Deux ans plus tard, il y est rejoint par un pseudopode de la plateforme destiné au public français, Businessempire.fr. Le conseil de l’AMF est limpide : «Ne pas donner suite à des sollicitations de personnes se réclamant» d’OmegaPro. L’alerte refroidit à peine les candidats aux rendements financiers mirobolants, qui n’y voient que la frilosité du vieux monde. «On nous dit que blacklisté, ça ne veut pas dire illégal», justifie Stéphanie.
Il n’y a pas qu’en France que les menées d’OmegaPro lui valent des coups de semonce. Le régulateur belge, la FSMA, et son homologue péruvien, la SBS, avertiront pareillement : le site n’est pas autorisé à proposer de telles prestations sur leur territoire. En Argentine, en mars 2022, la Commission nationale des valeurs ordonne à la plateforme et à ses trois «créateurs et/ou administrateurs», Dilawar Singh, Andreas Szakacs et Mike Sims, de «cesser immédiatement» toute activité financière dans le pays. Un mois plus tôt, l’Autorité des services financiers de Saint-Vincent-et-lesGrenadines, île caribéenne située au sud de Sainte-Lucie et à l’ouest de la Barbade, a indiqué sur son site web que «les activités de courtage en trading Forex» n’y sont pas autorisées. Si le texte ne mentionne pas OmegaPro, l’affaire ne manque pas de sel : la plateforme se présente en effet comme une société immatriculée à Saint-Vincent et fournit une adresse à Kingstown, la capitale.
Une direction aux abonnés absents
Il y a bien d’autres étrangetés autour d’OmegaPro. Dès 2020, les conditions d’utilisation du site mentionnent l’impossibilité de devenir «client» ou «affilié» pour les ressortissants d’une douzaine de pays dont l’Afghanistan, Cuba, l’Iran, l’Irak, Saint-Vincent-et-lesGrenadines, donc, mais aussi les
Etats-Unis ou les Emirats arabes unis. Or, selon l’acte d’enregistrement d’une société nommée OMP Money Ltd auprès du registre britannique du commerce, Dilawar Singh, un Allemand de 40 ans, et Andreas Szakacs, un Suédois de 35 ans, ont justement déclaré une domiciliation aux Emirats, à Dubaï, tandis que Mike Sims, un Américain de 46 ans, a fourni une adresse à Atlanta, en Géorgie… Présenté sur le site d’OmegaPro comme un service bancaire associé, OMP Money a été immatriculé en 2020, puis a déclaré des comptes dormants les deux années suivantes, avant d’être radié en 2023. D’ailleurs, avant de renvoyer à une adresse dans les Caraïbes,
la plateforme en ligne a d’abord affiché une résidence à Londres. La consultation du répertoire en ligne d’informations sur les entreprises OpenCorporates aiguille vers une société nommée OmegaPro Ltd, déclarée en 2018 au Royaume-Uni, radiée en 2020. L’adresse de cette dernière renvoie vers un compte Facebook manifestement lié à l’écosystème de la plateforme – on y retrouve les fameux rendements de 300 % à seize mois. Une publication de juillet 2022, postérieure à la radiation, présente OmegaPro comme «une entreprise enregistrée au Royaume-Uni avec un bureau administratif à Dubaï». Une autre entité, OmegaPro Services Ltd, a été déclarée en 2019, toujours sur le territoire britannique, et radiée en 2021.
Sur Instagram, celui que les brochures commerciales présentent comme le PDG d’OmegaPro, Andreas Szakacs, se met en scène en globe-trotter depuis Zanzibar, Medellín, Stockholm, Rome, Panamá et, bien sûr, Dubaï. Mais en novembre 2022, la machine à cash se grippe: les utilisateurs ne peuvent plus retirer leur argent. «Mise à jour du serveur», justifie, le 17, le compte Twitter (devenu X) d’OmegaPro. Douze jours plus tard, le ton rassurant n’est plus de mise : il est désormais question d’une «cyberattaque soutenue et sophistiquée». Le 6 décembre, OmegaPro affirme : «Nous avons réussi ces derniers jours à empêcher l’intrus d’accéder à notre système.» Face aux questions des utilisateurs, la société britannique de cybersécurité Hacker House – qui, elle, a pignon sur rue– confirme avoir été missionnée pour enquêter sur un incident. Début janvier 2023, elle annonce avoir identifié «un acteur cybercriminel inconnu qui cible les plateformes d’échange de cryptomonnaies», et publie quelques éléments techniques destinés aux professionnels du secteur. Contactée ces derniers jours par Libération, l’entreprise n’en dira pas plus : pour les précisions, elle nous renvoie à son client. Lequel pointe, d’évidence, aux abonnés absents. En janvier 2023, les fondateurs d’OmegaPro ont annoncé le lancement d’une nouvelle plateforme, GO Global. «Si on voulait garder nos licences OmegaPro, il fallait racheter des licences GO Global…» soupire Franck Alexandre. Six mois plus tard, le site Omegapro.world disparaissait. En septembre, poursuit le président de Capital, une réunion a eu lieu entre les fondateurs et les «leaders du réseau», les plus gros apporteurs d’affaires : «Au retour, ils ont fait savoir que l’argent était bloqué aux Etats-Unis.»
Impossible de chiffrer
le préjudice global
A minima, l’un des membres du trio à la tête de la plateforme a, en effet, eu affaire à la justice : le 23 février 2023, l’autorité américaine de régulation des produits financiers, la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), a annoncé l’ouverture d’une procédure judiciaire à l’encontre de trois entreprises et cinq personnes, impliquées dans un système de Ponzi qui aurait permis d’extorquer un total de 145 millions de dollars (plus de 130 millions d’euros) à plus de 900 individus. Parmi elles, Michael Sims, «résident de Sunny Isles Beach en Floride, ou de Roswell ou d’Atlanta en Géorgie». L’homme qu’OmegaPro présentait comme son «conseiller stratégique» est soupçonné d’avoir aidé le principal accusé à transférer les dépôts des victimes depuis sa plateforme, Yas Castellum, vers d’autres entités. Un tribunal de district du Texas a ordonné le gel des actifs des prévenus, précisait alors la CFTC.
Pour l’avocat Antoine Ory, le dossier OmegaPro «est à la fois classique, dans son fonctionnement et inédit par le nombre des victimes». Impossible, à ce stade, de les compter, ou de chiffrer le préjudice global. Mais encore aujourd’hui, même réunis en association, même plaignants, certains refusent de se ranger à l’idée que la plateforme n’ait été qu’une escroquerie. Avant que tout dérape, «j’ai plein de clients qui ont touché leurs sous!» lance Stéphanie, qui préfère croire que Singh et Szakacs «ont fait de mauvais choix». «J’attends de retrouver mon argent et la rentabilité de mon argent», tranche Marc G. Pour sa part, Franck Alexandre appelle de ses voeux «une enquête menée de façon sérieuse».
La dernière photo postée sur Instagram par Dilawar Singh, «directeur de réseau» d’OmegaPro, le montre en costume, micro en main, sous un éclairage de scène, avec cette légende : «Ne courez pas après le succès ; construisez plutôt le chemin que le succès voudra suivre.» Elle remonte au 20 octobre. Ni lui ni Andreas Szakacs n’ont donné suite à notre tentative de les contacter. Sur le Web, les sites blacklistés par l’AMF ne sont plus accessibles, mais un clone d’Omegapro.in promet toujours des rendements de 4% (pour les débutants) à 12 % (pour le
«plan VIP»). Par jour.