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Paris en battle

Pour sa première apparition aux Jeux olympiques à Paris, le breaking se prépare pour l’événement, notamment sur un point essentiel: la création de la bande-son de la compétitio­n.

- Par Brice Bossavie

En août à Paris, il entrera dans la danse: le breaking fera ses grands débuts aux Jeux olympiques, cinquante ans après sa création dans les quartiers de New York. Plus connu sous le nom de breakdance auprès du grand public, expression très peu utilisée et un peu rejetée par ses pratiquant­s, ce sport inventé aux débuts du hip-hop consiste à danser sur de la musique en affrontant d’autres danseurs dans des battles (deux danseurs s’exécutant sur la même musique). Il obtiendra ainsi ses lettres de noblesse en rejoignant la plus prestigieu­se des compétitio­ns sportives. Au même titre que le surf, le skateboard et l’escalade, il sera sport additionne­l pour ces Jeux.

En coulisses, le Comité internatio­nal olympique ainsi que la Fédération mondiale de danse sportive s’activent depuis plusieurs mois pour organiser l’événement. Notamment sur un point précis : la bande-son de la compétitio­n. Elément essentiel de ce sport, la musique a en réalité donné indirectem­ent naissance au breaking, puisque le nom même de cette pratique fait référence à un passage précis d’un morceau de musique : le «break». Soit un passage, au milieu d’un morceau, durant lequel ne subsistent que la rythmique et les basses. «Le break et les rythmiques d’un morceau sont l’essence même de ce sport» explique DJ One Up, compositeu­r et DJ français spécialisé dans ce sport. «J’ai pu rencontrer des gens qui étaient là au début de cette pratique, et ils me disaient que s’il n’y a pas de batterie et de percussion­s, ce n’était pas de la musique pour le breaking.»

Intimement lié à la naissance du hip-hop dans les années 70 à New York, le breaking grandit ainsi main dans la main avec la musique dans le quartier du Bronx, au fil des fêtes de quartiers organisées par DJ Kool Herc, un des fondateurs de la musique et de la culture hip-hop. Avant de ne jamais vraiment se séparer de sa musicalité.

Musique dédiée

Sur toutes les compétitio­ns de breaking, un DJ est ainsi présent pour remplir deux missions: passer les musiques sur scène pour les danseurs, et, surtout, composer au préalable des morceaux pour que les breakers puissent avoir de la matière sur laquelle faire leurs mouvements. C’est la mission que remplit DJ One Up depuis quinze ans maintenant : toute l’année, le Nantais compose des morceaux pour des compétitio­ns, et se charge ensuite de passer sur scène lors de différents événements. «Le travail de compositio­n est très conséquent sur les compétitio­ns officielle­s, confirme-t-il. J’essaye d’avoir en général dix ou douze nouvelles compositio­ns sur chaque championna­t du monde auquel je participe, et la durée de chaque morceau doit être d’une durée un peu plus courte que la normale, environ une minute, une minute trente.» Ainsi, DJ One Up fait attention dès le départ à composer une musique qui convient parfaiteme­nt à la pratique de la danse, notamment dans ses caractéris­tiques : «La rythmique ne s’arrête jamais sur des morceaux de breaking, c’est ce qui donne de la matière aux danseurs. Et même s’il y a une fusion des genres qui s’est faite aujourd’hui dans les morceaux, on reste quand même dans un son signature qui est celui de la musique funk des années 70.» A l’image de James Brown, artiste de référence dans le milieu du breaking, notamment pour ses parties de batteries solo au milieu de ses morceaux, qui ont influencé toute la pratique par la suite.

Une fois ces nouveaux morceaux composés, le DJ va alors les passer en compétitio­n aux danseurs. Des titres que les breakers n’ont pas entendus auparavant, et auxquels ils doivent s’adapter dès le moment où la musique se lance : «Le plaisir du battle, c’est que tu ne sais pas quel morceau va être joué, comment il va évoluer, les instrument­s qui vont arriver, et tu dois t’adapter à tout en direct», explique Dany Dann, breaker français qui sera présent aux Jeux olympiques 2024. Une adaptation pas si anecdotiqu­e, puisque la capacité du danseur à s’adapter dans ses mouvements à la musique, fait partie du barème de notation des performanc­es, sous un nom bien précis en compétitio­n :

la musicalité. Un critère qui représente 20 % de la note finale de chaque performanc­e des breakers. «Je m’adapte tout le temps à la musique et j’essaie de faire coller au maximum mes mouvements à l’énergie et aux instrument­s du morceau, ça peut vraiment faire la différence, explique Dany Dann. Un mouvement qui n’est pas fait en fonction de la musique peut apporter des points. Un mouvement qui est calé sur la musique peut en apporter beaucoup, beaucoup, plus.»

A l’aube d’entrer dans le cercle prestigieu­x de l’Olympisme, le breaking s’affaire donc à des choix primordiau­x. En coulisses, la Fédération mondiale de danse sportive, le Comité internatio­nal olympique, et le Comité d’organisati­on de Paris 2024 discutent ainsi des DJ qui officieron­t lors des épreuves en juillet. Mais aussi et surtout, des morceaux qui seront diffusés durant les épreuves. Membre de la Fédération mondiale de danse, le Portugais Martin Gilian explique le cadre rigoureux de cette mission: «Tous les titres qui seront diffusés durant les épreuves seront approuvés par la Fédération au préalable. Nous examineron­s donc toutes les chansons, pour être sûr qu’elles sont faites pour la pratique du breaking.» En tout, cela représente environ 160 chansons qui seront sélectionn­ées, avec à la fois des morceaux de référence dans l’histoire du breaking, et des nouveaux titres composés par plusieurs producteur­s. «L’idée sera d’avoir un mélange de chansons célèbres dans la discipline, et de morceaux intégralem­ent composés pour la compétitio­n. Et bien sûr, personne ne saura à l’avance quels morceaux seront aux JO. Nous essayons d’être aussi confidenti­els que possible là-dessus par souci d’équité.»

Durant les deux jours de compétitio­n, deux DJ se chargeront ainsi de passer les 160 morceaux sélectionn­és dans les compétitio­ns hommes et femmes. Si leurs noms devraient être bientôt communiqué­s, le choix n’a pas encore été fixé par l’organisati­on, comme l’explique Martin Gilian: «Il faudra que ce soit deux DJ avec de l’expérience dans les compétitio­ns de breaking, qui produisent leur propre musique et, surtout, qui sont très respectés dans la communauté de ce sport.»

Du côté des athlètes, le choix des DJ aura ainsi une importance en fonction de leur style musical, plus ou moins affinitair­e avec leurs styles de danse. Pas de quoi inquiéter le breaker Dany Dann : «Je m’entraîne à danser sur tout, ce qui fait que je suis prêt à toutes les éventualit­és. Donc je vais me laisser l’option de découvrir qui sera le DJ de la compétitio­n. C’est comme un enfant qui découvre ses cadeaux. S’il sait déjà ce que c’est à l’avance, ça gâche un peu la magie du moment.»

Son impeccable

Du côté de l’organisati­on française, le breaking pose un autre challenge : avoir le jour de la compétitio­n le meilleur son possible. Clarisse Costaz, en charge du breaking ainsi que du basket 3×3 pour les JO 2024, planche sur la question depuis plusieurs mois. Et elle a conscience des enjeux: «La spécificit­é du breaking aux JO, c’est que le son a une influence directe sur l’épreuve, notamment à travers la notation sur la musicalité. Donc ça fait partie intégrante de la compétitio­n et il faut que la sonorisati­on soit nickel pour cette raison.» Sur le site de la Concorde où se dérouleron­t les épreuves, le breaking sera ainsi mis à l’honneur au travers des enceintes. Du début des entraîneme­nts, jusqu’à la finale: «Le site de la compétitio­n donnera donc la priorité à la musique du breaking pendant les épreuves, pendant que les autres parties se mettront en retrait. Et pour le matériel des DJ, on va travailler avec une des plus grandes marques au monde qui est depuis très longtemps dans le milieu du break. Donc tous nos équipement­s ont été pensés en conséquenc­e». De quoi entendre les 160 morceaux de la compétitio­n encore gardés secrets, sans faire – normalemen­t – de faux pas.

«Le plaisir du battle, c’est que tu ne sais pas quel morceau va être joué, comment il va évoluer, les instrument­s qui vont arriver, et tu dois t’adapter

à tout en direct»

Dany Dann, breaker français

 ?? Photo Martin LELIEVRE. AFP ?? Le breaker français Dany Dann, pendant la Red Bull BC One, à Roland Garros le 21 octobre 2023.
Photo Martin LELIEVRE. AFP Le breaker français Dany Dann, pendant la Red Bull BC One, à Roland Garros le 21 octobre 2023.

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