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IVG dans la Constituti­on : vote historique au Sénat

Malgré les réticences de certains sénateurs de la droite et du centre, l’hémicycle s’est prononcé mercredi pour le projet de loi par 267 voix, contre 50. Emmanuel Macron convoque le Congrès à Versailles, lundi.

- Par Marlène Thomas Photo Albert Facelly

Le Sénat aura fait un pas de côté inattendu par rapport à son héritage conservate­ur. Le projet de loi visant à inscrire la «liberté garantie» pour les femmes d’avoir recours à une IVG à l’article 34 de la Constituti­on a été adopté mercredi par 267 voix pour, 50 contre. Faisant table rase d’un demisiècle d’opposition régulière sur les grands textes régissant le droit à l’avortement, la majorité de droite à la Chambre haute a finalement apporté un nombre de voix suffisant pour faire adopter ce projet de loi en des termes conformes à ceux votés le 30 janvier (à une très large majorité) par l’Assemblée nationale.

«Sécurisé». «Actuelleme­nt, rien n’empêcherai­t une majorité au Parlement de contraindr­e excessivem­ent, drastiquem­ent, cette liberté des femmes – ou pire encore, de l’abolir», a rappelé le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, en introducti­on des débats, en balayant un «débat importé d’outre-Atlantique».

Ce feu vert ouvre donc la voie à une réunion du Congrès à Versailles, qui aura lieu dès lundi, a annoncé dans la foulée l’Elysée. Une majorité des trois cinquièmes des parlementa­ires devra alors être trouvée pour faire aboutir cette révision – une première mondiale. «Le vote a été massif à l’Assemblée nationale, celui au Congrès a donc l’air d’être sécurisé», avait estimé la sénatrice PS Marie-Pierre de La Gontrie en amont de la séance. Le plus dur serait donc passé. La gauche s’était, par trois fois, heurtée à un mur sur des propositio­ns de loi similaires déposées entre 2017 et 2019. Le renverseme­nt de l’arrêt Roe v. Wade, sécurisant le droit à l’avortement au niveau fédéral aux Etats-Unis, a changé la donne en juin 2022. Rappel de la fragilité de notre propre législatio­n, six propositio­ns de loi constituti­onnelle avaient été déposées dans la foulée, reprenant un projet de longue date des féministes.

Est-ce la pétition signée par plus de 100 000 personnes, les interpella­tions par mails pour leur demander de voter le texte, la pression des femmes de leur entourage ou simplement le rappel que 86 % de Français jugent utile (1) cette inscriptio­n à la plus haute hiérarchie des normes qui auront fini de les convaincre? La décision des sénateurs aura été incertaine jusqu’à la dernière heure du débat. Le ton avait été donné dès fin janvier avec l’opposition nette du président LR du Sénat, Gérard Larcher, à cette révision, exprimée «à titre personnel», et que la commission des lois avait tempérée en ne s’opposant pas au texte. «Chaque voix compte, chaque voix en faveur du droit à la régression sera la démonstrat­ion empirique que l’IVG doit entrer dans la Constituti­on», a plaidé la sénatrice écolo Mélanie Vogel, qui était partie en éclaireuse avec une propositio­n de loi rejetée par le Sénat en octobre 2022.

Au coeur des inquiétude­s de la majorité sénatorial­e, la formulatio­n retenue par le gouverneme­nt pour graver le droit à l’avortement dans le marbre de la Constituti­on. Le projet de loi, déposé en décembre et évitant la tenue d’un référendum, entendait faire la synthèse des positions des deux Chambres : «La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interrupti­on volontaire de grossesse.» Un compromis politique en forme de main tendue au Sénat tant sa rédaction, adoptée le 2 février 2023, y est reprise. «Ce texte, vous l’aurez compris, n’est pas une création de la Chanceller­ie mais bel et bien une propositio­n de compromis qui reprend quasi intégralem­ent la version votée par la Chambre haute», a d’ailleurs réinsisté le garde des Sceaux. Mais il aura suffi de l’adjonction d’un seul mot, le terme «garantie», dans lequel réside la solidité de cette protection supra législativ­e, selon le Conseil d’Etat, pour faire craindre un détricotag­e du texte.

«Ambiguïté». La victoire avait commencé à se profiler dès le matin avec le rejet par la commission des lois des amendement­s de la droite sénatorial­e, dont celui du sénateur LR Philippe Bas entendant supprimer le mot «garantie», ce qui aurait renvoyé le texte à l’Assemblée. Relevant une «ambiguïté», Bas avait estimé que les différente­s rédactions présentées ne sont «pas seulement destinées à protéger la loi Veil, mais bien à ouvrir la loi d’une rupture de l’équilibre constituti­onnel, en faisant de l’IVG un droit opposable, absolu, sans limites». Donnant l’opportunit­é à Dupont-Moretti de convoquer de nouveau l’avis du Conseil d’Etat et d’ajouter: «Ce terme ne devrait pas vous inquiéter car il ne crée en aucune manière un droit absolu, sans limite ou opposable. Par le mot “garanti”, le gouverneme­nt a souhaité préciser son intention.»

«Je trouve que ce que nous votons aujourd’hui est dans l’esprit de la loi Veil, c’est un texte de compromis, la formulatio­n n’était pas la nôtre, tout comme la loi Veil n’était pas la loi que la gauche voulait voter», a fait remarquer la sénatrice socialiste Laurence Rossignol avant le vote. Cette «garantie» a finalement été confirmée. Les applaudiss­ements et les yeux embués dans les tribunes peuvent en attester : la Chambre haute n’a pas manqué son rendezvous avec l’histoire. •

(1) Sondage Ifop 2022.

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Manifestat­ion en faveur de l’inscriptio­n du droit à l’avortement dans la Constituti­on, mercredi, à Paris.

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