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Odile Mir, atouts hasard

Rencontre à Toulouse avec la créatrice de 97 ans, symbole des années Prisunic (ré)éditée par sa petitefill­e et surtout connue jusqu’à présent pour ses sculptures et ses cadrans solaires géants.

- Par FLORIAN BARDOU Envoyé spécial à Toulouse Photo ULRICH LEBEUF

Caisses, cartons, chaises, vieilles boîtes, morceaux de prototypes, dessins, sculptures… Tout est sens dessus dessous, tel un «capharnaüm géant». Mais l’atelier d’Odile Mir, au soussol de la maison au parquet jaune citron de l’artiste toulousain­e, situé entre la gare de Toulouse-Matabiau et le quartier des Chalets, révèle quelques trésors. C’est dans ses entrailles, auxquelles la sculptrice nonagénair­e n’a plus le droit d’accéder en raison d’un escalier en pente raide, que sa petite-fille, architecte d’intérieur, a découvert il y a six ans un pan méconnu du travail de sa grand-mère, depuis remis au goût du jour : la conception de meubles et de luminaires métallique­s. Des lampes, des fauteuils, des tables, des porte-revues, des chaises longues, la plupart en métal chromé et en cuir pour les assises, étaient vendus au début des années 70 dans le catalogue de vente par correspond­ance de Prisunic, émanation du Printemps visant à atteindre toutes les bourses avec le slogan «le beau au prix du laid».

«Je savais qu’elle avait été sculptrice et qu’elle avait conçu un fauteuil, aujourd’hui dans les collection­s des Arts déco. Passée 90 ans, elle a voulu relancer la production, elle cherchait des artisans pour la fabricatio­n, ça me paraissait lunaire», raconte Léonie Alma Mason, 36 ans, encore ébahie. En farfouilla­nt cette caverne d’Ali Baba façon archéologu­e, la trentenair­e tombe alors sur les archives de sa grand-mère, soit une quarantain­e de modèles d’objets aux formes intemporel­les. «C’est ainsi que j’ai découvert qu’elle avait eu une vraie production de pièces de design entre 1968 et 1975. C’était une période météorite qui ne lui paraissait pas essentiell­e. D’ailleurs, elle n’a jamais été valorisée en tant que designer car elle était isolée, dans le Tarn, et parce que c’était une femme», poursuit la fondatrice de LOMM éditions, un showroom dans le IXe arrondisse­ment parisien. Une demi-douzaine d’années plus tard, après la publicatio­n d’une monographi­e en 2021, deux rééditions de mobilier, luminaires et d’un tapis en collaborat­ion avec Monoprix pour rendre hommage aux années Prisu’, voilà l’injustice réparée et l’oubli comblé. Ce dont s’enorgueill­it la première intéressée, élégante quasi-centenaire qui reçoit dans sa demeure un jeudi gris de début février, anecdotes à la clé.

Intuition. Odile Mir a quelques difficulté­s à tout bien se remémorer. Mais elle a une certitude : dans sa vie de créatrice, tout a été affaire de «hasards». Et notamment, sa rencontre avec le design industriel. Nous sommes au milieu des années 60. Après une formation à l’école des beaux-arts de Casablanca, au Maroc, dix ans plus tôt, l’artiste-artisane commence à être reconnue pour ses sculptures métallique­s soudées à l’arc au travers d’exposition­s individuel­les et collective­s à Toulouse, Montauban ou Paris. La plasticien­ne originaire du Minervois, déjà portée sur la couture depuis ses 15 ans, conçoit pour ses besoins personnels une lampe en zinc laqué argent de 60 centimètre­s de haut, «Phare». Cette première création est aujourd’hui estimée à plusieurs milliers d’euros. «Quelqu’un a vu cette lampe qui, ensuite, a intéressé les joailliers Lacloche, place Vendôme. Ils ont voulu faire une exposition et je me suis retrouvée aux côtés de César et de Hiquily. Ça a été complèteme­nt accidentel et inattendu», se souvient, paille au bec, l’autodidact­e. Des acheteuses du Printemps, Maïmé Arnodin et Denise Fayolle, de l’agence de style Mafia, repèrent le luminaire et la mettent en relation avec Delmas, une fabrique de luminaires à Montauban.

«On m’a mise dans un coin, on m’a donné un établi et un excellent ouvrier, et j’ai eu toute ma liberté.

J’ai découvert le monde très bruyant d’une usine. Cela ne devait durer que quinze jours et on m’a rappelé au bout de deux ou trois mois parce que le salon du luminaire approchait. Personne ne s’intéressai­t vraiment à mon travail», narre celle qui carbure à l’intuition. Par la suite, à

«[Ma grand-mère] n’a aucune idée de ce qui est à la mode. Elle a toujours expériment­é et n’a travaillé que par prototypes. Je n’ai d’ailleurs trouvé aucun croquis.»

Léonie Alma Mason petite-fille d’Odile Mir et architecte d’intérieur

compter des années 70, la modéliste conçoit des prototypes de siège géométriqu­es (FILO, David, Fil, Triangle, etc.), repérés à leur tour par un acheteur du Printemps. Ces assises sculptural­es, emblématiq­ues des années Prisu’, en font même la couverture.

«Je n’avais aucun contact commercial, tout est passé par l’usine, complète Odile Mir. Je ne sais même pas l’aura que j’avais. J’ai été très étonné lorsqu’on m’a envoyé les sous. Avec le montant, j’ai pu offrir un voyage en Grèce à ma fille.» «Elle était très isolée, elle ne suivait pas l’air du temps à Paris ou aux Etats-Unis, résume, pour sa part, Léonie Alma Mason. Ce que je comprends, c’est que c’est une femme qui a toujours tout fait à l’intuition ! Elle n’a aucune idée de ce qui est à la mode et elle s’en tape, elle a toujours expériment­é et elle n’a travaillé que par prototypes avec un sens des proportion­s et de l’analyse. Je n’ai d’ailleurs trouvé aucun croquis.»

«Manuelle». En 1973, néanmoins, l’incendie de la fabrique Delmas, qu’elle pense être le fait d’«une vengeance», la prive d’emploi. Elle retourne donc à la sculpture, après un passage par des ateliers de couture «misérables» dans le quartier du Sentier à Paris. Dans les années 90, de retour à Toulouse, elle signe en collaborat­ion avec le jeune astronome Denis Savoie des cadrans solaires parmi les plus grands au monde: la Nef solaire à Tavel (Gard), sur l’A9, et à Monaco, pour le jubilé de Rainier-III. Le premier, en béton blanc, 17 mètres de haut, une commande – là encore fruit du hasard – des Autoroutes du sud de la France, est un emblème de cet art qui a fleuri sur les autoroutes entre les années 70 et 90.

Il est également une réplique architectu­rale de ces horloges antiques, dont elle a fait des maquettes ou des versions miniatures en ardoise. Mais comment expliquer ce caractère touche à tout, curieux des matières et des techniques, qui s’exprime encore aujourd’hui malgré son grand âge ? «On ne sait pas pourquoi on fait les choses. Je suis une manuelle, c’est comme ça, ce sont donc mes mains qui travaillen­t», assène Odile Mir. Désormais exhumées, fabriquées pour la première fois ou rééditées, ces pièces de design intéressen­t en tout cas les antiquaire­s et les collection­s publiques, avant une exposition au printemps au musée Saint-Roch d’Issoudun. Quant à la paire intergénér­ationnelle, elle entend désormais faire reconnaîtr­e les talents de styliste de cette vieille dame du design pour tous.

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Odile Mir, à Toulouse le 1er février.

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