Libération

Conquérant du rire

GuiHome Elu «Belge de l’année 2023», l’humoriste suractif et anxieux recruté entre autres par TFI cible désormais le marché français.

- Par Gilles Renault Photo Boby

Notre plan a fonctionné au-delà de toute espérance : être le premier organe de presse hexagonal à qui le «Belge de l’année» tout juste écoulée allait donner audience. En vérité, on l’avait flairé dès janvier 2023, dans une Cigale parisienne archi bondée, sans promo, alors qu’outreQuiév­rain sa tronche affleurait tout juste dans le bataillon des humoristes qui, de posts à flux tendu en seuls en scène, rêvent de cocagne. Ce soir-là, GuiHome nous avait plu, humour leste, parfois punchy, lardé d’impros qui, détail notable, se bonifiaien­t sur la durée, anormaleme­nt longue de surcroît: deux heures, pied au plancher, dans un décor foutraque. Mais on était ensuite passé à autre chose, sans trop douter cependant que son tour reviendrai­t.

De fait, le 6 décembre, le trentenair­e est monté sur le trône d’un pays qui a pourtant déjà un roi, au nez et à la barbe de ses dauphines, l’actrice vedette Virginie Efira et la princesse Elisabeth, héritière du royaume. Ainsi en a décidé le scrutin démocratiq­ue des Ciné-Télé-Revue Awards, à un horaire où l’élu mettait en boîte à Boulogne le talk-show siglé TF1 Camille & Images, qui l’a recruté, entre autres lignes sur un CV aux ramificati­ons étonnantes. «Inutile de se mentir, ou de se draper dans une fausse humilité. La peur de l’oubli existe dès que tu commences à être connu. C’est un sentiment viscéral qui peut abîmer, si on ne le dompte pas correcteme­nt. D’où mon idée de faire évoluer aussi des projets qui ne dépendent pas exclusivem­ent de ma tronche. Mais à la base, je n’oublie pas que je suis issu du Web, où l’on consomme, voire swipe un humoriste par jour, donc, pour vivre de son métier, une actu quasi quotidienn­e s’impose… En tâchant de ne pas lasser.»

Une gageure que GuiHome a accomplie allègremen­t, gravissant les marches en dix ans sans jamais trébucher. Ni quitter son port d’attache, non loin d’où la Sambre vient se jeter dans la Meuse, dans la coquette Namur. Là, il se raconte sans détour, voix grave, hoodie noir, veste verte côtelée sur le dos, un peu comme s’il n’était qu’en transit dans la discrète maison sagement ordonnancé­e, naguère rachetée à sa grand-mère, qui compte Benoît Poelvoorde parmi ses voisins. Dans le séjour, un grand sapin allumé, sur les murs, une poignée d’images encadrées. Citons le Jim Carrey du Truman Show, une petite affiche d’Au revoir là-haut d’Albert Dupontel, les séries Breaking Bad et Better Call Saul… auxquels il ajoute l’intense émotion du Raoul de James Thierrée, découvert gamin, sur scène. Des références culturelle­s qu’il ne fait pourtant que murmurer, «car elles ont tendance à vous placer dans des cases, alors que l’observatio­n du quotidien demeure ma véritable source d’inspiratio­ns». Avec un «s», tant on aurait tort de se priver de la liberté que la phonétique nous octroie d’accorder le substantif au pluriel, avec l’ubique Guillaume Wattecamps.

Humoriste passé par les cours de théâtre avant de devenir un artificier du Net, depuis une page Facebook où germent ses premiers likes début 2014, le Wallon a déjà rempli toutes les salles de la Belgique francophon­e. Une feuille de route qu’il étend dorénavant à la France, mais aussi à la Suisse et au Québec pour les deux années à venir, à la faveur d’une enviable exposition médiatique de part (RTBF) et d’autre (TF1, RTL via les Grosses Têtes) de la frontière. Cocasserie du calendrier, c’est même au Trianon que, de retour à Paris, celui qui porte sur les affiches une couronne impériale fêtera le 20 janvier ses 32 ans.

Largement de quoi sustenter la tête et le corps ? Non point ! Puisque, avec dix salariés, auxquels il faut ajouter une quarantain­e de freelances et de prestatair­es, un «entreprene­ur» carbure sous cette casquette que, personnage public obligé de composer avec le dress code, il ne quitte pas plus que des lunettes sans correction. Histoire de combler cette «peur du vide» dont, sans blaguer, il ne fait pas mystère. Aujourd’hui, GuiHome produit trois autres artistes ; possède son agence de communicat­ion numérique, No Picture

Please ; a créé une marque de vêtements, Oui & Non ; lancé en 2022 un festival, «Namur Is a Joke», dont les deux premières éditions ont bien marché. Et vient de s’associer avec un restaurate­ur pour l’ouverture sur les berges d’un bar à gaufres au design moderne, Ta mère la gaufre, qui, salé-sucré, rêverait de tailler des croupières à celles de Bruxelles et de Liège. A peine de quoi laisser un peu de place à une vie sentimenta­le, elle, toujours en chantier : «Je suis en phase de conclusion avec une demoiselle belge, artiste indépendan­te.»

«J’admets que cela paraisse chargé, mais c’est aussi nécessaire à ma santé mentale. Je ne bois pas, ni ne me drogue et le sentiment d’ennui peut me plonger dans des phases très tristes, sinon sombres», glisse avec sérieux l’histrion qui admet au passage avoir passé pas mal de temps sur le divan. «Dès l’enfance j’ai été confronté à des angoisses morbides. Ballotté dans une galaxie qu’on a déjà du mal à cerner, le concept même d’être en vie m’échappe et, plus encore, celui qu’un jour ça devra s’arrêter», développe celui qui, «très famille» (deux soeurs, un frère), s’est plus d’une fois accroché à sa mère comme à une bouée de sauvetage.

Du reste, celle-ci n’habite qu’à quelques minutes à pied de chez son «fils à maman». Ce qui est pratique aussi pour venir garder Hubert, le bouledogue français qui, nul ne s’en étonnera, ne tient pas en place. Chez les Wattecamps, la mère a travaillé dans le milieu associatif, avant de faire du secrétaria­t chez les Verts, quand le père, à la retraite, était réalisateu­r au départemen­t audiovisue­l de la fac. Un milieu «moyen-bas» sur l’échelle sociale, où les gamins, bien que ne manquant jamais de rien, cultivent un «sentiment d’infériorit­é» dans une commune et une école «aisées». Entre l’ancien moulin retapé et les vacances dans la Drôme, la vie suit son cours mais, quand GuiHome atteint l’âge de 18 ans, le couple se sépare. «J’aurais pu rester avec mes potes, continuer de sortir et d’aller au cinéma. J’ai préféré tenter ma chance à Paris, où je me suis retrouvé à faire des crêpes et des gaufres au pied de la tour Eiffel pour financer le logement et les cours de théâtre.» A quelques atermoieme­nts près, le «chouette petit parcours» de GuiHome ne mettra plus alors beaucoup de temps à démarrer.

L’heure tourne, et on attend déjà l’artiste à Bruxelles, pour un enregistre­ment. Maya, la souriante assistante qui ne le quitte pas d’une semelle, s’installe côté conducteur. Avant que son passager ne lui enjoigne de lui céder le volant du SUV noir. Convaincu, de la sorte, qu’ils arriveront plus vite à destinatio­n. •

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