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«J’ai compris pourquoi les gens se droguaient pour traverser la mer»

En 2021, à 15 ans, Amir a quitté l’Algérie pour Toulouse. Après une traversée de la Méditerran­ée sous l’emprise de médicament­s pour gérer la peur, criblé de dettes, il vit dans un squat et vend des cigarettes à la sauvette. Sans réel avenir.

- Rachid Laïreche

Amir (1) apparaît à l’écran. Une casquette sur le crâne et une clope à la bouche. Il a 17 ans depuis quelques semaines. Il en fait beaucoup plus. Amir est arrivé en France, à Toulouse, en 2021. Il a quitté l’Algérie, en traversant la mer sur un canot pneumatiqu­e, avec des rêves plein la tête. Le mineur vend des clopes et du shit, dort dans un squat. Son futur est impossible à imaginer. Il avance dans le en gobant des cachets pour se «donner de la force» et du «courage». Il nous raconte son parcours en sirotant un café.

Amir a grandi à Tigditt, un quartier populaire de Mostaganem. Une ville dans l’ouest du pays, en bord de mer. Les plages sont grandes et belles. Amir a deux grands frères, une grande soeur et deux petits frères. Son père turbine au port de la ville. Sa mère charbonne à la maison. Ses parents sont nés dans la ville portuaire. Il a des cousins et des cousines dans toute la ville.

«Traumatisé». Sa première clope, c’était à 12 ans, pendant l’été sur une plage. Sa démission définitive de l’école aura lieu un été plus tard. Habib – qui nous a mis en relation avec Amir– a passé son adolescenc­e à ses côtés. «Il a toujours été vif, il bougeait tout le temps, il faisait des petites conneries et il parlait toujours de la France. Il aimait bien embêter les immigrés qui venaient en vacances parce qu’il voulait être comme eux. Il regardait les bateaux de marchandis­es qui arrivaient au port en chantant des chansons», expliquet-il. Habib habite toujours à Tigditt, contrairem­ent à son ami, sa vie est «ici». Les sirènes de l’autre côté de la Mébrouilla­rd diterranée ne l’ont jamais attiré.

Les départs sont compliqués. Certains payent très cher des passeurs ; d’autres grimpent dans une barque avec des potes en tentant de se repérer avec une boussole. Amir a déjà opté pour la deuxième option. Il a 14 ans. C’est sa première tentative. Il raconte : «Nous étions six du quartier. Je n’avais pas pris de drogue. La barque a échoué rapidement parce qu’il y avait trop de vagues. J’étais traumatisé. J’ai compris pourquoi les gens se droguaient pour traverser la mer.» Il repart au front une seconde fois, une année plus tard. Entre-temps, il emprunte de l’argent à des amis du quartier pour grimper dans un canot pneumatiqu­e avec des passeurs. Il refuse de nous dire le montant. Il nous dit juste qu’il a «payé moins cher que les autres» grâce à son âge et qu’il doit rembourser ses dettes. Une vie à crédit.

Il rigole au moment de raconter sa traversée. «Je ne sais même comment je suis arrivé en Espagne.» Amir a avalé de nombreux cachets avant d’embarquer. Du Rivotril pour lutter contre la peur. Il est très rapidement devenu accro à cette drogue, un médicament anti-épileptiqu­e. Il en gobe tous les jours. En Espagne, il se retrouve dans une petite maison avec les autres passagers. Ils passent une nuit au chaud et traversent le pays le lendemain. «Nous étions deux de Mostaganem. A Barcelone, nous sommes montés dans une voiture jusqu’à Toulouse.» Pas un hasard. Une connexion existe entre les deux villes. De nombreux immigrés algériens atterrisse­nt à Toulouse depuis le siècle dernier sans savoir pourquoi. «Tous ceux qui partent de Mostaganem passent par Toulouse. C’est comme ça. Tu es obligé de croiser quelqu’un que tu connais», raconte Habib. Les exemples du genre sont nombreux. Les habitants de Sétif se retrouvent à Lyon ; ceux de Chlef à Nantes. Des parcours qui se poursuiven­t au fil des génération­s : ils quittent un pays pour trouver des repères loin de chez eux.

Amir se souvient de ses premiers pas à Toulouse.

Il retrouve des copains sur la place Arnaud-Bernard. L’adolescent ne sait pas où aller ; les poches sont vides. Amir passe ses premières nuits dans un squat. «Tout le monde travaille. Il y a les livreurs avec des vélos et les vendeurs. Tu ne peux pas rester sans argent, c’est impossible. On m’a présenté à quelqu’un pour que je devienne vendeur.» Il récupère une cartouche de Marlboro. Il vend des clopes à l’unité et aux paquets. Il récupère une nouvelle cartouche. Puis deux. Puis trois. Et quatre. La machine est lancée.

Créanciers. Les bénéfices lui permettent d’acheter des nouveaux vêtements, une couette pour se couvrir dans le squat, manger et se procurer ses drogues. Amir change parfois de quartier. Il quitte la place Arnaud-Bernard pour vendre dans le quartier Mirabeau, derrière la gare routière. La routine se met en place. Il liquide ses clopes et gagne ses petits bénéfices sans oublier le reste : les dettes du pays. Le mineur doit de l’argent. Il ne peut toujours pas rembourser. Il aimerait également envoyer des petites sommes à ses parents. Comment faire ?

On lui a présenté une nouvelle personne. «Il m’a demandé de vendre d’autres trucs.» Amir accepte de vendre quelques barrettes de shit en plus des clopes. Des bénéfices qui lui permettent de mieux se nourrir mais pas beaucoup plus. Il pense à ses dettes. Amir ne peut pas faire le beau sur les réseaux sociaux, comme les autres. La peur existe ; celle de voir ses créanciers menacer sa famille à Mostaganem. Amir a refusé une offre récemment. Il ne veut pas devenir dealer dans les cités de la ville. «On m’a dit qu’on se fait de l’argent plus vite. Je crois que c’est vrai mais pour l’instant je préfère rester comme ça», dit-il sans vraiment y croire. Le mineur a mis ses pieds et ses mains dans un engrenage infernal. Comment faire pour en sortir? Combien de temps pourra-t-il résister aux sirènes de la dernière offre ?

(1) Le prénom a été modifié.

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Photo Samir Maouche Dans un squat en région parisienne, en décembre 2022.

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