Ces immigrés à la fois indispensables et indésirables
72 % des Français affirment être satisfaits de la loi immigration passée au masticateur de la commission mixte paritaire. C’est ce qu’a révélé l’entreprise de sondages Odoxa fin décembre. Le moins que l’on puisse dire c’est que ce chiffre interroge. De quoi les 72 % de Français sont-ils satisfaits, au juste ? Ont-ils répondu au sondage en toute connaissance de cause ou ont-ils obéi à un besoin impérieux de se débarrasser du sentiment d’insécurité entretenu par tous les droitards de l’extrême ?
On peut comprendre que les Français en aient ras le bol d’avoir peur ; tous les Français, sans exception. Y compris ceux à qui on dénie symboliquement la nationalité, à savoir le Français non-souchien des périphéries. Car il faudrait être aveugle pour ne pas comprendre que la cible principale de cette loi vise principalement ceux qui «dérangent», plus clairement «les Arabes» qu’on ne dissocie jamais de l’islam et qu’on associe presque systématiquement au terrorisme. Il est toujours utile de rappeler que les arabophones ne sont pas tous islamisés, et que le continent qui regroupe le plus grand nombre de musulmans est le continent asiatique (environ 62 % des musulmans du monde) Les Arabes, eux, n’en représentent que 21 %. Etonnant, non ? On peut aussi choisir d’être athée, ça arrive plus souvent qu’on ne le croit.
Mais revenons à ce qui nous occupe. Dans cette loi immigration, dont le Rassemblement national (RN) se serait volontiers attribué la paternité (Marine Le Pen n’a d’ailleurs pas hésité à parler de «victoire idéologique»), on proposerait dans le même temps de régulariser au cas par cas la main-d’oeuvre utile à la France (régularisation des travailleurs étrangers dans les métiers en tension) et de dénier le droit du sol automatique à tout majeur né en France de parents étrangers (le jeune «étranger» devra en faire la demande entre ses 16 et 18 ans). La France tolère ses immigrés tant qu’ils pallient le manque de main-d’oeuvre souchienne, mais dès qu’il s’agit de les compter parmi les sujets de la nation, la tolérance se fait moins pressante : à la fois indispensables et indésirables. On devient gaga pour moins que ça.
Il suffit de discuter avec des jeunes gens qui sont nés en France de parents étrangers pour constater que beaucoup d’entre eux ne se sentent pas Français alors même qu’ils ont la nationalité française. Qu’en sera-t-il des jeunes qui grandiront «non-français» et qui, à 18 ans, devront aller quémander le droit d’en être ? Mais je m’égare. La loi immigration n’a jamais eu pour ambition d’embellir ou d’adoucir les vies. On ne fait pas rimer politique avec philanthropie. Si on rogne sur le droit du sol, pilier de la République, on rogne fatalement sur les identités. C’est la fameuse «constitution de soi par autrui» dont parlait Jean Genet. Le regard des autres vous transforme et détermine votre destin. Etre considéré comme un étranger, alors que votre naissance certifie le contraire, c’est dommageable. On ne peut pas dénier la légitimité d’une appartenance nationale. La désavouer, c’est prendre le risque de voir les identités vaciller un peu plus, et aggraver le sentiment d’exclusion qui mène parfois à des glissements tragiques. C’est ainsi que la France se retourne contre elle-même.
La déchéance de nationalité des binationaux pose également question. Emmanuel Macron qui, en 2017, considérait celle-ci comme «une faute politique» a visiblement renié ses convictions (si tant est qu’il en ait). Faire croire aux Français qu’il suffit d’expulser les «méchants» pour retrouver la paix est chimérique, pour ne pas dire malhonnête. C’est aussi déraisonnable que de leur faire croire qu’il y a d’un côté les ennemis de la République et de l’autre les patriotes ardents.
La France, terre d’asile et de liberté, réduite à la plus triste extrémité.