Les villes moyennes entrent dans la cour des grandes
Proximité avec la nature, qualité de vie… A la faveur du confinement et de l’essor du télétravail, les communes de moins de 100 000 habitants attirent de nouveau.
Longtemps regardée de haut par les adeptes de la métropolisation conquérante, la tranquille ville moyenne prendrait-elle sa revanche à la faveur de la crise sanitaire ? Luc Bouard, maire de La Roche-sur-Yon, en Vendée, est catégorique : «Le premier baromètre chez nous, c’est l’immobilier. Le marché était déjà tendu, parce que les emplois sont nombreux dans l’agglomération. Mais depuis le mois de juin, on voit une vraie accélération. Vous mettez une maison en vente le samedi, elle est vendue le lundi.» Elu sous l’étiquette La France audacieuse, «qui regroupe d’anciens ou actuels LR un peu déçus», le maire estime que l’expérience du premier confinement a catalysé les projets de changement de vie.
D’un seul coup, des années d’efforts de communication ont été récompensées. Depuis 2014, La Roche-sur-Yon interpelle les Parisiens dans les couloirs du métro avec des questions comme: «Envie de plage toute l’année ? Marre du béton ?» La réponse tient en une rime : «La solution, c’est La Roche-sur-Yon.» Après cinquantecinq jours d’enfermement en appartement riquiqui, certains habitants de la région parisienne «ont été sensibles à nos campagnes», constate le maire. On entend la satisfaction dans sa voix. Luc Bouard est également secrétaire général de Villes de France, l’association qui représente les communes de 20000 à 100000 habitants, découvertes désormais pour ce qu’elles sont : «Des villes où, en dix minutes de vélo, vous êtes à la campagne.»
«Il se passe des choses»
Moins près de la plage, mais nettement plus proche de Paris, Beauvais, dans l’Oise, a également vu sa cote remonter. Caroline Cayeux est maire (divers droite) de cette commune qui fut le fief de Marcel Dassault, par ailleurs présidente de Villes de France. Pour elle, «la crise sanitaire, c’est clair, a été l’accélérateur de la reconnaissance de la qualité de vie dans nos villes». Comme La Roche-sur-Yon, Beauvais s’est offert une campagne de publicité, avec comme accroche : «Déconfinez-vous en Beauvaisis.» A la frontière de l’Ile-deFrance et à 1 h 22 de la capitale par le train, la préfecture de l’Oise a de quoi attirer des Parisiens en souffrance. Mais elle ne part pas à leur conquête avec la même image que les localités de l’Ouest : en 2018, une émeute dans les rayons de l’Intermarché local autour d’une promo de 70 % sur le Nutella apparaissait comme le symptôme d’une ville où sévit aussi la pauvreté. Pourtant, «il se passe des choses, affirme Caroline Cayeux. Les notaires sont sollicités plusieurs fois par semaine par des gens qui veulent la proximité des espaces verts. Ils découvrent que nous avons des services publics dignes d’une métropole» et que «les ados peuvent se déplacer à bicyclette». En fait, la crise sanitaire, avec son combo confinement-télétravail, a cristallisé un mouvement déjà présent. En 2019, Villes de France a publié un premier Baromètre des territoires destiné à mesurer l’attractivité des lieux de vie, depuis les grandes métropoles jusqu’au rural profond. Effectuée un mois avant l’explosion du mouvement des gilets jaunes, le 17 novembre 2018, cette enquête Ipsos montrait que, s’ils avaient à choisir, 43 % des sondés habiteraient dans une ville moyenne. Même la campagne attirait moins (35 %), sans parler des grandes villes (22 %).
Les certitudes chancellent
A l’issue du premier confinement, rebelote, une deuxième édition du Baromètre est réalisée avec des résultats assez saisissants : dans les villes de plus de 100000 habitants, 23 % des gens envisagent de déménager, chiffre qui atteint 36% chez les moins de 35 ans. Plus spectaculaire encore, 10 % des actifs des grandes villes déclarent qu’ils vont le faire. Soit 400000 personnes quand même. Où veulent-ils aller ? A 50 % dans une ville moyenne, 30 % dans une grande ville, 7 % en milieu rural. Derrière ces données, toute une série d’attitudes intellectuelles, de certitudes d’urbanistes, chancellent. Après des années de classements de l’attractivité des «villes monde» créatrices d’emplois «à haute valeur ajoutée», de publications sur les qualités environnementales de la cité «intense», «dense», bref pleine comme un oeuf, les simples envies des gens rappellent aux experts que la métropole n’est pas la réponse à tout. Aller au travail «en onze minutes», comme le proclament les publicités du Berry, acheter ses légumes dans des marchés de producteurs, circuler à vélo, accéder à la nature facilement: la proximité apparaît aussi comme une dimension du développement durable.
Or voilà que le télétravail, expérimenté en vraie grandeur du jour au lendemain, rend tout cela possible et raisonnable. Déménager à Beauvais n’est plus le choix d’une maison avec jardin en échange de trois heures de transport par jour. Le vieux débat de spécialistes sur le fait de savoir s’il faut créer des emplois là où sont les gens ou bien des logements là où sont les emplois se résout par une troisième voie. Au fond, la crise sanitaire réinventera peut-être l’urbanisme.
Selon un baromètre paru après le premier confinement, 10 % des actifs des grandes villes déclarent qu’ils vont déménager : 50 % dans une ville moyenne, 30 % dans une grande ville, 7 % en milieu rural.