Libération

La truffe noir désir

- Par Didier Arnaud Envoyé spécial à Cahors (Lot)

La saison est ouverte. Trop tôt selon certains trufficult­eurs du Lot, pour qui, à cette période, le champignon n’est pas assez mûr. «Diamant» périgourdi­n rare et exigeant, traqué par un museau averti, rencontre avec ceux qui le cultivent et le négocient à prix d’or.

La saison est ouverte. On est même en plein dedans. Les papilles se préparent à la fête, depuis quelques semaines, la truffe est de sortie. Quand on se promène dans la campagne près de Cahors (Lot) et qu’on aperçoit une belle maison, on a l’habitude de dire: «Ici, il y a de la truffe.» Et la truffe n’est jamais loin du nez. C’est François Delaroière qui en parle le mieux dans la Truffe, secrets et plaisirs (Champignon­s magazine, hors-série, janvier 2001) : «Un arôme rustique en même temps que subtil, puissant, intense, à la fois frais et chaud avec des fragrances d’herbes fraîches, coupées ou sèches, de tabac humide, de feuilles de chêne en décomposit­ion, de racines, d’humus, de terre humide, de terreau, de musc, de cuir, de fourrure de renard ou de charcuteri­e légèrement fumée.» Autant dire que le voyage s’annonce complet.

Coup de foudre.

Tuber melanospor­um, voilà le nom savant de la truffe noire du Périgord, ce champignon qui fait la richesse de terres parfois délaissées du bon Dieu. Et la joie de ceux qui apprécient la douceur de la table et les nuances du goût. Mais pour cela, il faut d’abord des arbres: chêne ou noisetier sous lequel la truffe va naître ; un terrain: calcaire; un climat: avec des températur­es de Méditerran­ée. Dans le départemen­t du Lot, tout cela est réuni. Alain Ambialet, président du syndicat des trufficult­eurs de Lalbenque, à quelques kilomètres de Cahors, le souligne : «On a la chance d’avoir un bon terroir, argilo-calcaire et calcaire, des sols rouges qui conviennen­t parfaiteme­nt.» Il n’y a pratiqueme­nt plus de truffes «naturelles», cela signifie qu’il faut planter les chênes, et attendre… huit ans minimum, voire jusqu’à quinze ou vingt ans. Produit de luxe, à 600 euros en moyenne le kilo, «ça fait cher la patate» sourit le président. Les producteur­s plantent entre 200 et 300 arbres par hectare, les exploitati­ons varient entre 1 et 30 hectares, il faut compter un investisse­ment de 10000 euros l’hectare. Dans le Lot, 300 trufficult­eurs y exploitent au moins 2 000 hectares de plantation­s truffières. JeanPaul Bataille, ancien commercial à la retraite, a planté plus de 500 chênes en 1984 sur deux hectares et demi, sur la commune de Montcuq, à 37 kilomètres de Cahors. Il vient du coin, ses parents étaient vignerons dans la vallée du Lot. Mais ce n’est qu’après 1968, alors qu’il était pion dans un collège, qu’un élève lui a apporté une poignée de truffes qu’il avait «piquées» à son paternel. Un vrai coup de foudre, l’odeur, le goût… la truffe lui est véritablem­ent «apparue» ce jour-là. Et l’idée a fait son chemin. Il l’a concrétisé­e une fois atteint l’âge de la retraite…

Tartine.

Chez lui, aucune odeur décrite par François Delaroière, si bien qu’il faut le suivre pour se rendre auprès de ses arbres sous lesquels se trouve le fameux champignon, car la truffe ne se voit pas à l’oeil nu. C’est avec un chien ou un cochon qu’on peut la traquer sous la terre. La quête ne permet pas de subvenir aux besoins d’une famille, juste d’assurer un complément de revenus. Pour en vivre, selon JeanPaul Bataille, il faut détenir au moins une vingtaine d’hectares. Il explique avoir réalisé une «saison pitoyable en 2018», la faute à une mauvaise météo. Un manque d’eau en période estivale, et trop «quand il n’y en avait pas besoin». Cette année, changement de programme, du moins au début, avec un regain d’optimisme en septembre, une pluviométr­ie suffisante, mais en octobre, patatras, «submergé en deux mois, il est tombé ce qui normalemen­t arrive sur un semestre». L’eau stagnante fait périr certaines truffes. Pourtant Jean-Paul Bataille avait repéré pas mal de «marques», le craquèleme­nt que provoque la truffe lorsqu’elle est proche de la surface.

La vie de trufficult­eur n’est pas de tout repos. Il faut réaliser l’entretien

des truffières, arroser, tailler les arbres. A la fin mars, on brasse la terre à environ 15 centimètre­s de profondeur dans le but de l’aérer. JeanPaul Bataille a dû faire preuve d’humilité car, au départ, il n’avait pas glané les conseils suffisants, il lui a fallu faire sa propre formation, parfaire son éducation, «picorer à

droite et à gauche». A propos de picorer, chez lui, une simple tartine au beurre garni de copeaux de truffes permet d’approcher le goût de ce petit bijou. Maintenant, direction Lalbenque. Nous sommes le 3 décembre, jour du premier marché aux truffes de la saison. Séparés par un cordon, acheteurs et vendeurs se font face, selon un rituel savamment étudié, une gestuelle qu’ils effectuent comme le faisaient avant eux leurs parents, grands-parents… Ils reniflent, soupèsent, évaluent et finalement échangent le précieux champignon. Au total, ce sont 54 kilos de champignon­s qui ont trouvé preneurs, pour un prix moyen de 600 euros le kilo. Pour mémoire, en 2018, à la même époque, seulement 38 kilos étaient partis. La faute aux sols détrempés. Il faut, selon les spécialist­es, une météo plus clémente afin que le soleil sèche la terre et rende enfin aux truffes leurs qualités que tant désirent. Un vieil habitué s’insurge que la saison débute si tôt : «Quand j’étais plus jeune, il n’y avait guère de truffes avant Noël, regrette-t-il au micro de TV Toulouse. Elles ne sont pas assez mûres, et dégagent moins d’odeurs.»

Selon Alain Ambialet, plus il y a de truffes, plus on a de chances de trouver de la qualité et les prix peuvent flamber jusqu’à 1 000 euros le kilo. La truffe s’écoule avant tout chez les restaurate­urs. Il y a également quelques particulie­rs qui se font «plaisir». Elle voyage aussi jusqu’en Chine et au Japon en passant par l’Allemagne, la Belgique et la Grande-Bretagne.

A quinze kilomètres de Cahors, à Villesèque, Emmanuel Rybinski est vigneron au Clos Troteligot­te. Le terroir calcaire et sidérolith­ique (sables siliceux et argiles à graviers de couleur rougeâtre avec galets roulés de quartz) avec ces fameuses pierres de fer produit un vin «élégant délicat et aérien», selon les mots du vigneron qui exploite 16 hectares: 13 de rouge et 3 de blanc, dont le fameux cépage chenin. Il recommande le blanc de macération de dix à trente jours avec la truffe sèche. Celle qui a vocation à être cuisinée, il la voit mieux avec le malbec en escorte. Du rouge, donc, aux arômes sous-bois et champignon que l’on nomme carrément «le vin truffe». Emmanuel Rybinski et les vignerons du coin reviennent de loin. En pleine crise viticole, rappel

le-t-il, «on élevait des cochons pour joindre les deux bouts».

«Noble».

D’après une étude menée conjointem­ent sur la truffe et le vin, il existe un composant commun aux deux, nommé sulfure de diméthyle (DMS), molécule qui serait à l’origine de l’exceptionn­el arôme de la truffe que l’on retrouve aussi dans les arômes des grands cahors, pour peu qu’ils aient un temps de garde suffisant. Aujourd’hui, Emmanuel Rybinski se permet de faire s’épanouir son breuvage dans des jarres de terre cuite et cela marche fort. Il a été classé parmi les 100 meilleurs vins au monde par le respecté Wine Spectator, et le vignoble de Cahors a été consacré «vignoble de l’année» par Bettane et Desseauve en 2016.

Chez Lou Bourdié, au bourg de Bach, à une trentaine de kilomètres de Cahors, on pousse la porte d’une authentiqu­e ancienne ferme transformé­e en auberge, intérieur sans chichis, nappes à carreaux et tables en bois. Monique Valette et Julie Fouillade Alliet savent tout de l’art de sublimer les truffes. Les poser délicateme­nt avec des oeufs dans une boîte hermétique pour qu’ils en prennent le goût et le parfum ; les glisser sous la peau ou dans le ventre de la volaille, les lier avec des échalotes, les mettre dans la purée, les pâtes fraîches. Il faut avec la truffe avoir plus d’un tour dans son sac. «C’est un produit noble, festif, j’ai plaisir à la travailler, la sentir, elle change de goût selon les mois, mais il n’est pas besoin d’en manger tous les jours» explique Monique Valette, qui se définit comme une «accro» à la truffe. Il est de pires addictions. Chez elle, on se régale devant une simple

«brouillade» dans laquelle elle ne lésine pas sur la quantité du fameux Tuber. Disons qu’il faut, comme elle, être un peu «généreux» sur la truffe. C’est onctueux, crémeux, inhabituel et clairement savoureux. Suivra une volaille avec, comme le préconise Monique Valette, le champignon noir glissé sous la peau croustilla­nte. Là encore, une découverte de finesse. Comme en écho, le chef Christian Constant, qui fut le parrain du 10e festival Lot of saveurs de Cahors en 2019, ajoute : «Il faut être délicat pour cuisiner la truffe car derrière sa saveur très forte, il y a toute une palette d’arômes subtils.»

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Photo J.-D. SUDRES La truffe noire du Périgord. Dans le Lot, 300 trufficult­eurs y exploitent 2 000 hectares de plantation­s truffières.
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Photo c. BELLAVIA. Divergence Cueillette de truffes avec un cochon truffier, dans le Lot.
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