«Une onde de choc dont les effets n’ont pas fini de se faire sentir»
Le politologue Yves Sintomer rappelle le refus «viscéral», chez beaucoup de gilets jaunes, des partis traditionnels.
lll l’édile reste prudent: «On ne peut pas imposer une décision, c’est quand même la loi de l’Etat qui s’applique.» Un «particularisme français», selon Clara Egger, qui redoute la transformation du «RIC, outil de décision, en une simple consultation au service des municipalités». L’expérience aveyronnaise a pour elle une «consonance historique».
Car en Suisse, souvent citée en exemple «s’il existe de tels mécanismes, c’est notamment parce qu’au XIXe siècle, des citoyens l’ont mis en place sans demander leur avis aux autorités».
Plutôt que de penser pouvoir peser politiquement face à ceux qui décident à Paris, les gilets jaunes de Saint-Affrique visent avant tout «l’éducation populaire» en «amenant l’idée du RIC dans la tête des gens». Et les municipales ne sont pas leur sujet. Même s’ils sont sollicités, aucun ici ne compte pour l’heure rejoindre une liste. «On sera là avant et après les élections», assure Mika. Notamment le samedi 23 novembre, jour du scrutin citoyen, qui sera ouvert «à toute personne de plus 16 ans, française ou non, concernée par la vie locale». Et qui se tiendra donc un an et une semaine après le début du mouvement des gilets jaunes. «Un bel anniversaire, non ?» font remarquer ceux de Saint-Affrique.
Envoyé spécial à Saint-Affrique Photo Matthieu Rondel. Hans LucaS
Yves Sintomer est professeur de sciences politiques à l’université Paris-8 et auteur d’une Petite Histoire de l’expérimentation démocratique (La Découverte).
Quel regard portez-vous sur le mouvement des gilets jaunes un an après sa naissance ? Il a ébranlé la société française, son système politique et le gouvernement. C’est une onde de choc dont les effets n’ont pas fini de se faire sentir, même si ses résultats ont été relativement modestes dans l’immédiat : quelques milliards redistribués. C’est cependant plus que ce qu’ont pu obtenir les récents mouvements sociaux classiques menés par les syndicats, comme la grande grève des cheminots. Si on ne jugeait ce mouvement de contestation
inédit que par ses effets concrets immédiats, finalement, il n’en resterait pas grand-chose. Mais ce qu’il a révélé des fractures entre le monde politique et la société, ou encore entre les bénéficiaires et les perdants de la mondialisation, restera durable.
Est-ce que les gilets jaunes sont devenus une organisation structurée, avec une coloration politique ?
De manière précoce, des courants libertaires ou trotskistes ont essayé de structurer le mouvement, notamment avec l’appel de Commercy ce mois-ci. Mais c’est un phénomène modeste. En même temps, nous constatons que des réseaux se pérennisent. Des liens ont été créés entre des acteurs qui ont joué un rôle important. Ils se situent à l’extrême gauche ou sur des positions ni gauche ni droite. Plus rarement à l’extrême droite. Ce qui les caractérise le plus, c’est un refus viscéral des partis de gouvernement et du système politique en place.
Le mouvement des gilets jaunes peut-il durer au-delà de cette année d’existence ?
Difficile à dire. Le 5 décembre sera un test sur la capacité des gilets jaunes à revenir sur le devant de la scène à la faveur des mouvements sociaux lancés par des syndicats.
Pourquoi les tentatives de constitution de «listes gilets jaunes» pour les municipales ne sont-elles pas vraiment concluantes ?
C’est un objectif difficile. En se situant en dehors des clivages habituels et en refusant le système politique en place, il est difficile de s’y faire une place. On a pu constater que certains des porte-parole gilets jaunes se sont retrouvés seuls et en proie à de vives critiques quand ils ont envisagé de se présenter aux élections européennes. Le problème est le même pour les municipales, même si les enjeux locaux favorisent des démarches plus consensuelles.
Est-ce que les partis traditionnels peuvent récupérer certains gilets jaunes ?
On va assister à des tentatives d’intégration de certaines figures. Surtout dans une phase où les partis politiques sont très discrédités. Est-ce que cela va constituer un renouveau comme cela a pu être le cas pour le PC et le PS après 1968 ? J’ai des gros doutes. Les partis sont tellement affaiblis et en décadence que ces tentatives n’auront qu’une portée réduite
Que peut-il advenir des gilets jaunes après les municipales ?
L’an dernier, à la même époque, qui aurait dit qu’un mouvement de cette ampleur allait secouer le pays? Peut-être va-t-il maintenant constituer une sorte de levain qui va permettre directement ou indirectement de transformer la culture citoyenne de ce pays. Le mouvement #MeToo est venu de l’extérieur de la sphère politique et a eu un impact immense sur les réseaux sociaux avant de retomber. En même temps, son impact se fait encore sentir, comme on l’a vu récemment encore dans le monde du cinéma.
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