Libération

«Une onde de choc dont les effets n’ont pas fini de se faire sentir»

Le politologu­e Yves Sintomer rappelle le refus «viscéral», chez beaucoup de gilets jaunes, des partis traditionn­els.

- Grégoire Souchay Franck Bouaziz

lll l’édile reste prudent: «On ne peut pas imposer une décision, c’est quand même la loi de l’Etat qui s’applique.» Un «particular­isme français», selon Clara Egger, qui redoute la transforma­tion du «RIC, outil de décision, en une simple consultati­on au service des municipali­tés». L’expérience aveyronnai­se a pour elle une «consonance historique».

Car en Suisse, souvent citée en exemple «s’il existe de tels mécanismes, c’est notamment parce qu’au XIXe siècle, des citoyens l’ont mis en place sans demander leur avis aux autorités».

Plutôt que de penser pouvoir peser politiquem­ent face à ceux qui décident à Paris, les gilets jaunes de Saint-Affrique visent avant tout «l’éducation populaire» en «amenant l’idée du RIC dans la tête des gens». Et les municipale­s ne sont pas leur sujet. Même s’ils sont sollicités, aucun ici ne compte pour l’heure rejoindre une liste. «On sera là avant et après les élections», assure Mika. Notamment le samedi 23 novembre, jour du scrutin citoyen, qui sera ouvert «à toute personne de plus 16 ans, française ou non, concernée par la vie locale». Et qui se tiendra donc un an et une semaine après le début du mouvement des gilets jaunes. «Un bel anniversai­re, non ?» font remarquer ceux de Saint-Affrique.

Envoyé spécial à Saint-Affrique Photo Matthieu Rondel. Hans LucaS

Yves Sintomer est professeur de sciences politiques à l’université Paris-8 et auteur d’une Petite Histoire de l’expériment­ation démocratiq­ue (La Découverte).

Quel regard portez-vous sur le mouvement des gilets jaunes un an après sa naissance ? Il a ébranlé la société française, son système politique et le gouverneme­nt. C’est une onde de choc dont les effets n’ont pas fini de se faire sentir, même si ses résultats ont été relativeme­nt modestes dans l’immédiat : quelques milliards redistribu­és. C’est cependant plus que ce qu’ont pu obtenir les récents mouvements sociaux classiques menés par les syndicats, comme la grande grève des cheminots. Si on ne jugeait ce mouvement de contestati­on

inédit que par ses effets concrets immédiats, finalement, il n’en resterait pas grand-chose. Mais ce qu’il a révélé des fractures entre le monde politique et la société, ou encore entre les bénéficiai­res et les perdants de la mondialisa­tion, restera durable.

Est-ce que les gilets jaunes sont devenus une organisati­on structurée, avec une coloration politique ?

De manière précoce, des courants libertaire­s ou trotskiste­s ont essayé de structurer le mouvement, notamment avec l’appel de Commercy ce mois-ci. Mais c’est un phénomène modeste. En même temps, nous constatons que des réseaux se pérennisen­t. Des liens ont été créés entre des acteurs qui ont joué un rôle important. Ils se situent à l’extrême gauche ou sur des positions ni gauche ni droite. Plus rarement à l’extrême droite. Ce qui les caractéris­e le plus, c’est un refus viscéral des partis de gouverneme­nt et du système politique en place.

Le mouvement des gilets jaunes peut-il durer au-delà de cette année d’existence ?

Difficile à dire. Le 5 décembre sera un test sur la capacité des gilets jaunes à revenir sur le devant de la scène à la faveur des mouvements sociaux lancés par des syndicats.

Pourquoi les tentatives de constituti­on de «listes gilets jaunes» pour les municipale­s ne sont-elles pas vraiment concluante­s ?

C’est un objectif difficile. En se situant en dehors des clivages habituels et en refusant le système politique en place, il est difficile de s’y faire une place. On a pu constater que certains des porte-parole gilets jaunes se sont retrouvés seuls et en proie à de vives critiques quand ils ont envisagé de se présenter aux élections européenne­s. Le problème est le même pour les municipale­s, même si les enjeux locaux favorisent des démarches plus consensuel­les.

Est-ce que les partis traditionn­els peuvent récupérer certains gilets jaunes ?

On va assister à des tentatives d’intégratio­n de certaines figures. Surtout dans une phase où les partis politiques sont très discrédité­s. Est-ce que cela va constituer un renouveau comme cela a pu être le cas pour le PC et le PS après 1968 ? J’ai des gros doutes. Les partis sont tellement affaiblis et en décadence que ces tentatives n’auront qu’une portée réduite

Que peut-il advenir des gilets jaunes après les municipale­s ?

L’an dernier, à la même époque, qui aurait dit qu’un mouvement de cette ampleur allait secouer le pays? Peut-être va-t-il maintenant constituer une sorte de levain qui va permettre directemen­t ou indirectem­ent de transforme­r la culture citoyenne de ce pays. Le mouvement #MeToo est venu de l’extérieur de la sphère politique et a eu un impact immense sur les réseaux sociaux avant de retomber. En même temps, son impact se fait encore sentir, comme on l’a vu récemment encore dans le monde du cinéma.

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