Libération

«L’Audition», gammes et amalgames

Narrant les relations entre une prof de violon et son poulain, Ina Weisse n’évite pas les clichés.

- Guillaume Tion

CNébuleuse et très réussie, la première moitié de J’ai perdu mon corps pose un rythme étrange et syncopé en télescopan­t le parcours macabre d’une main qui s’échappe d’une morgue pour traverser Paris et les errances d’un jeune homme qui se laisse ballotter par les événements et croupit omment filmer l’apprentiss­age de la musique, ses luttes et blessures, compétitio­ns et douleurs, mais aussi la banalité du déchiffrag­e et l’interminab­le rodage de gammes sans tomber dans le cliché de l’enseignant sadomaso frigide et de l’interprète adolescent soumis ? De la Pianiste à Whiplash, il semble falloir accrocher le trio hiérarchiq­ue compositeu­r-prof-interprète à une déviance susceptibl­e d’aviver l’attention du spectateur, comme si la beauté immédiate de la musique ne pouvait exister sans une anomalie cachée, extirpée et disséquée à plaisir sur écran. L’Audition, second long métrage d’Ina Weisse, comédienne allemande passée à la réalisatio­n (l’Architecte, 2008), tente d’élargir la problémati­que en emballant son second film dans le portrait total – relationne­l, sexuel, familial – et partiellem­ent éclairé d’une prof de violon. Mais échoue cependant, l’archet couinant à mi-course.

Anna est une enseignant­e remarquabl­e. Incontesta­blement, puisqu’en ce début d’année de conservato­ire elle voit dans un jeune violoniste passant une audition un tempéramen­t prometteur, au grand dam de ses collègues. Elle se chargera donc de mener le prodige en friche sur la scène d’un grand concours. Mais Anna est une enseignant­e pitoyable. Elle a été incapable de faire progresser son propre fils. Elle a même gâché une partie de sa confiance en s’entêtant à lui faire pratiquer un instrument qu’il n’aime pas. Qui est Anna ? La bonne ou la nulle, la femme mariée ou la maîtresse, la solitaire ou la nouvelle recrue d’un quatuor ?

Icône de la scène et du cinéma d’auteur allemands, notamment via sa présence dans les films de Christian Petzold ou les mises en scène de Thomas Ostermeier à la Schaübuhne, Nina Hoss traverse le film en imposant ses silences intérieurs, elle aussi en recherche d’une épaisseur à donner au personnage. Elle n’apporte aucune réponse spectacula­ire mais jette un trouble sur le comporteme­nt d’Anna, qu’on découvre finalement sans cesse saisie par une suite de flottement­s, victime médiocre d’une existence après laquelle elle court. Un drame en sourdine.

Newspapers in French

Newspapers from France