«L’Audition», gammes et amalgames
Narrant les relations entre une prof de violon et son poulain, Ina Weisse n’évite pas les clichés.
CNébuleuse et très réussie, la première moitié de J’ai perdu mon corps pose un rythme étrange et syncopé en télescopant le parcours macabre d’une main qui s’échappe d’une morgue pour traverser Paris et les errances d’un jeune homme qui se laisse ballotter par les événements et croupit omment filmer l’apprentissage de la musique, ses luttes et blessures, compétitions et douleurs, mais aussi la banalité du déchiffrage et l’interminable rodage de gammes sans tomber dans le cliché de l’enseignant sadomaso frigide et de l’interprète adolescent soumis ? De la Pianiste à Whiplash, il semble falloir accrocher le trio hiérarchique compositeur-prof-interprète à une déviance susceptible d’aviver l’attention du spectateur, comme si la beauté immédiate de la musique ne pouvait exister sans une anomalie cachée, extirpée et disséquée à plaisir sur écran. L’Audition, second long métrage d’Ina Weisse, comédienne allemande passée à la réalisation (l’Architecte, 2008), tente d’élargir la problématique en emballant son second film dans le portrait total – relationnel, sexuel, familial – et partiellement éclairé d’une prof de violon. Mais échoue cependant, l’archet couinant à mi-course.
Anna est une enseignante remarquable. Incontestablement, puisqu’en ce début d’année de conservatoire elle voit dans un jeune violoniste passant une audition un tempérament prometteur, au grand dam de ses collègues. Elle se chargera donc de mener le prodige en friche sur la scène d’un grand concours. Mais Anna est une enseignante pitoyable. Elle a été incapable de faire progresser son propre fils. Elle a même gâché une partie de sa confiance en s’entêtant à lui faire pratiquer un instrument qu’il n’aime pas. Qui est Anna ? La bonne ou la nulle, la femme mariée ou la maîtresse, la solitaire ou la nouvelle recrue d’un quatuor ?
Icône de la scène et du cinéma d’auteur allemands, notamment via sa présence dans les films de Christian Petzold ou les mises en scène de Thomas Ostermeier à la Schaübuhne, Nina Hoss traverse le film en imposant ses silences intérieurs, elle aussi en recherche d’une épaisseur à donner au personnage. Elle n’apporte aucune réponse spectaculaire mais jette un trouble sur le comportement d’Anna, qu’on découvre finalement sans cesse saisie par une suite de flottements, victime médiocre d’une existence après laquelle elle court. Un drame en sourdine.