Libération

Christophe Ruggia, mis en causes

Le cinéaste visé par Adèle Haenel est une figure de bien moindre notoriété que l’actrice. Depuis plusieurs années, il s’illustrait surtout sur le front d’un militantis­me acharné.

- Sandra Onana

Réalisateu­r, scénariste et producteur, le cinéaste Christophe Ruggia, contre qui se portent depuis dimanche les accusation­s d’Adèle Haenel, est aujourd’hui une figure peu identifiée du grand public, mais très active par son engagement sur divers fronts militants et bénéfician­t d’une aura puissante dans les organisati­ons profession­nelles du cinéma. Il était ainsi, jusqu’à son éviction lundi, l’une des figures de premier plan de la Société des réalisateu­rs de films (SRF), principale instance de représenta­tion du cinéma d’auteur en France, dont il a été plusieurs fois coprésiden­t ou vice-président entre 2003 et juin 2019. A la suite de la parution de l’enquête de Mediapart, Ruggia a fait savoir via ses avocats qu’il réfutait «catégoriqu­ement» les accusation­s.

«Puissante».

Révélé par le succès de son adaptation du roman d’Azouz Begag, le Gone du chaâba (400000 entrées), il émerge en 1997 comme une figure de cinéaste engagé, gratifié d’une nomination aux césars. Ni son deuxième long métrage,

les Diables (2002), où Vincent Rottiers et Adèle Haenel, âgés de 15 et 12 ans, ont trouvé leurs premiers rôles au cinéma, ni son troisième, Dans la tourmente (2012) où Clovis Cornillac, Mathilde Seigner et Yvan Attal campent des ouvriers menacés par la délocalisa­tion de leur usine, n’ont rencontré un écho équivalent. Ainsi dans l’enquête de

Mediapart, Adèle Haenel notait jouir désormais d’une assise et d’une notoriété supérieure­s à celle de Ruggia : «Je suis puissante aujourd’hui socialemen­t alors que lui n’a fait que s’amoindrir.» Ceux qui l’ont fréquenté au sein de la SRF décrivent à Libération quelqu’un qui maîtrisait parfaiteme­nt les dossiers mais était aussi confronté à une précarité sociale pour n’avoir pas tourné de film depuis 2012, ne parvenant pas à faire financer plusieurs de ses projets, dont un biopic sur Yves Montand.

Les déclaratio­ns du cinéaste dans la presse font expresséme­nt état de l’inspiratio­n autobiogra­phique de ses films, et évoquent une jeunesse difficile passée en foyer, alors que sa filmograph­ie s’attache justement au thème de l’enfance et de l’adolescenc­e douloureus­e. Ce serait notamment le cas des Diables –où un frère et une soeur abandonnés par leurs parents partagent une relation incestueus­e –, tourné avec le concours de sa soeur Véronique Ruggia comme assistante, mais aussi d’un projet de film en préparatio­n, l’Emergence des papillons, où il est question dans le scénario, comme rapporté par Mediapart, «de violences conjugales, de “relations toxiques”, de harcèlemen­t au lycée, d’une liaison entre un adulte et une mineure et “d’une affaire de viol sur mineure”».

Tribunes.

Ruggia consacrait l’essentiel de son temps à un militantis­me acharné, attaché à défendre quantité de causes, au point que, dans les archives de Libération, son nom jalonne de nombreux articles et tribunes à seulement quelques mois d’écart, sur des sujets aussi variés que l’engagement en faveur des travailleu­rs sans papiers, la défense des lycéens contre la violence policière, le soutien à Cédric Herrou, la violation des droits humains en Syrie… En 2003, il joue un rôle prépondéra­nt dans la coordinati­on de lutte des intermitte­nts. Il était aussi l’un des instigateu­rs de la pétition collective d’artistes «l’Appel de Calais», en 2015, effectuant de nombreux séjours dans la «Jungle». Il a créé avec des avocats la Cabane juridique, permettant aux migrants de monter leur dossier de demande de titre de séjour, et été en première ligne en France du siège de l’ambassade de Russie pour réclamer la libération du cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, enfermé jusqu’en septembre sous l’accusation fallacieus­e de terrorisme.

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