Libération

«Les rémunérati­ons des dirigeants ne font que grimper»

Pour Philippe Desfossés, de l’Erafp, la loi Sapin 2 a permis d’améliorer les pratiques, mais les grands actionnair­es gardent la main.

- Recueilli par JÉRÔME LEFILLIATR­E

L’Etablissem­ent de retraite additionne­lle de la fonction publique (Erafp), ce fonds de pension public qui compte 4,5 millions de fonctionna­ires cotisants a 30 milliards d’euros d’encours sous gestion. Actionnair­e «responsabl­e», il s’est fixé plusieurs critères d’investisse­ment en matière de gouvernanc­e, de social et d’environnem­ent. Il vote systématiq­uement contre les rémunérati­ons de dirigeants d’entreprise dépassant un niveau fixé à 100 smic. Son directeur, Philippe Desfossés, fait le bilan de la loi Sapin 2, votée fin 2016, qui a rendu contraigna­nt le vote des actionnair­es sur les émoluments des patrons. Ce que l’on appelle aussi le «say on pay». La loi Sapin 2 est-elle efficace pour limiter les rémunérati­ons des patrons ? On manque de recul. Mais cette loi a déjà apporté beaucoup de transparen­ce sur le sujet des rémunérati­ons. C’est très positif, alors qu’on a longtemps vécu dans le flou. Il y a une prise de conscience. Une attention nouvelle est portée à cette question. On le voit bien lors des assemblées générales d’actionnair­es: désormais, au moment du vote, il y a une tension qui s’installe… C’est le signe que la chose est prise au sérieux. Pour le moment, on constate que les actionnair­es confirment leur confiance envers les dirigeants, dont ils votent les rémunérati­ons.

Mais il faut relativise­r: quand les résultats financiers sont bons, comme c’est le cas cette année, les actionnair­es sont plus enclins à voter dans le sens des dirigeants… Il y a un alignement des intérêts entre les uns et les autres.

Au moment de voter, beaucoup d’investisse­urs suivent les recommanda­tions des sociétés de conseil dont c’est le métier. Or ce secteur est dominé par deux acteurs anglosaxon­s, ISS et Glass Lewis. Ils exportent en France des pratiques qui semblent normales dans la culture anglosaxon­ne, où les rémunérati­ons sont élevées. Sur le montant des rémunérati­ons, on a l’impression, après quelques années de relative modération, que c’est à nouveau open bar pour les dirigeants… Oui, on parle des progrès de transparen­ce ou de l’approbatio­n des rémunérati­ons, mais nous devons rester attentifs à leur niveau. Les rémunérati­ons ne font que grimper au fil des années. Si l’on observe l’échantillo­n des 40 entreprise­s françaises que nous surveillon­s, les rémunérati­ons des patrons ont augmenté de 3,6 millions d’euros en moyenne en 2014 à 4,8 millions en 2017. C’est beau, la divulgatio­n des rémunérati­ons, mais cela ne suffit pas. Rien ne change vraiment alors ? Il faut aller plus loin ? Par rapport au code de bonne gouvernanc­e Afep-Medef, dont la pratique a montré qu’on pouvait facilement s’en émanciper, la loi Sapin 2 est une étape intéressan­te. Les entreprise­s ont amélioré leurs pratiques. Il faut qu’elles continuent, sur les critères de rémunérati­on ou en insérant des conditions liées à l’environnem­ent. Il est compliqué d’imposer par la loi des ratios de rémunérati­on. Selon les secteurs, on aura des plafonds très différents. Le salaire de base n’est pas le même dans la finance que dans la distributi­on… La responsabi­lité est aussi celle des grands actionnair­es, les fonds d’investisse­ment ou les fonds de pension. Contrairem­ent à nous, beaucoup de confrères ne se sont pas encore dotés d’une doctrine en la matière ou d’une politique de vote. Ils laissent faire les sociétés de gestion à qui ils ont délégué la tâche de décider. Résultat: certains votent les rémunérati­ons à 97 %. Nous, à l’Efrap, nous étions à 8 % l’an dernier… Les fonds ont le pouvoir d’exercer une pression. Qu’est-ce qui les empêche de définir des limites ? C’est leur devoir d’arrêter des lignes de conduite, sur les questions de rémunérati­on, mais aussi sociales ou environnem­entales. Les fonds de pension gèrent l’argent de cotisants qui verront les conséquenc­es de leurs investisse­ments dans quarante ou cinquante ans. Ils devraient défendre davantage une vision de long terme.

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