SOMMET KIM-TRUMP
HISTORIQUE HYSTÉRIQUE Cochez la (les) bonne(s) réponse(s).
Avant les incertitudes innombrables et les futurs déraillements probables, prenons un instant. Juste pour mesurer le chemin parcouru depuis neuf mois (lire page 4) et le caractère historique de cette rencontre qui devait se tenir dans la nuit de lundi à mardi à Singapour entre Kim Jong-un et Donald Trump. L’été dernier, les deux leaders se promettaient une apocalypse nucléaire en s’insultant. Aujourd’hui, ils se rencontrent pour la première fois. Jamais un président américain en exercice n’avait auparavant rencontré le dirigeant de la Corée du Nord. Ce premier petit pas a valeur de grand bond. Le simple fait que ce sommet ait lieu est déjà en soi un succès. Une fois écrit cela, on s’empressera d’ajouter que tout reste à faire. Et que le plus compliqué commence, si le sommet ne débouche pas sur une impasse.
Si les insultes et les menaces ont été remisées, les deux pays doivent affronter de nombreux dossiers épineux. Surtout, ils restent aux antipodes sur le plus délicat d’entre
eux: la dénucléarisation de la Corée du Nord, qui a procédé en septembre à son sixième et plus puissant essai atomique. Tout en multipliant les tirs de missiles. «Au sens du Traité de non-prolifération, cela signifie l’absence de programme nucléaire militaire, rappelle Boris Toucas, chercheur associé au Centre des études internationales et stratégiques à
Washington. Il y a déjà un accord intercoréen de 1992 qui le confirme et va même au-delà pour l’ensemble de la péninsule. Le mot a un sens très clair, mais la Corée du
Nord s’affirme depuis 2012 comme
“Etat doté” [de l’arme nucléaire], c’est antinomique.» Washington exige une dénucléarisation «complète, vérifiable et irréversible» de la péninsule.
Lundi après-midi à Singapour, après une journée de préparatifs pour le sommet Kim-Trump, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo a rappelé les engagements de son pays. «Le “V” (pour vérifiable) compte.
[…] Nous allons nous assurer que nous avons mis en place un système suffisamment robuste pour vérifier… c’est ce qui manquait auparavant.» De son côté, Pyongyang, qui disposerait de dix à vingt bombes nucléaires, se dit prêt à s’engager dans un processus – encore très flou – de démantèlement «étape par étape».
UNE DÉNUCLÉARISATION COMPLEXE ET LONGUE
Un temps impatient et tonitruant, Donald Trump lui-même semble avoir revu à la baisse ses ambitions de rapidité. «Je n’ai jamais dit que ce serait réglé en une réunion», déclarait-il au début du mois. A Tokyo récemment, l’ancien secrétaire d’Etat adjoint américain Richard Lee Armitage s’était montré réaliste: «La distance entre l’endroit où nous sommes et celui où nous devons être se mesure en années.» La dénucléarisation est un processus complexe et long qui peut en effet prendre une décennie selon certains experts. «Pour que le sommet puisse être déclaré comme un succès, il faudrait avant tout que la “boîte noire” nord-coréenne prenne le risque de s’entrouvrir enfin, liste ses différents arsenaux: audelà du nucléaire, quid des armes chimiques et biologiques ? Le reste n’est que du théâtre», juge Boris Toucas.
Singapour peut être un nouveau départ des relations américanonord-coréennes si Kim obtient assurances et contreparties de
Trump. «L’arme nucléaire remplit de nombreuses fonctions pour Kim Jong-un, poursuit Boris Toucas.
C’est une assurance-vie possible, mais aussi un instrument de chantage à l’échelle régionale, et de légitimation en interne. Le problème central reste la crainte des dirigeants nord-coréens d’être renversés, or la possession de l’arme nucléaire aggrave la paranoïa du régime, puisque le reste du monde le perçoit désormais comme une menace directe.» Kim attend des Américains qu’ils lèvent les menaces pesant sur la sécurité de la république populaire de Corée. «On aura compris que si dénucléarisation il y a, dans l’esprit de la Corée du Nord, ce processus sera progressif et devra
être assorti de sérieuses garanties de la part de Washington. Il faudra donc aller au-delà d’un simple pacte de nonagression, analyse Marianne PeronDoise, en charge de l’Asie du Nord à l’Institut de recherche stratégique
de l’Ecole militaire à Paris. Symboliquement, la signature d’un traité de paix mettra fin à la guerre de Corée et sera un premier pas vers la stabilisation stratégique de la péninsule.» La paix pourrait faire partie des acquis du sommet mardi soir. «La déclaration de la fin de la guerre peut intervenir rapidement», tout
comme une «reconnaissance diplomatique qui prendrait la forme d’un bureau de liaison» dans chacune des deux capitales, assurait récemment Joe Yuosang Yun, l’ancien représentant spécial américain pour
la Corée du Nord. «Toutes proportions gardées, Donald Trump a pris une décision très controversée et porteuse de désordres régionaux sévères en ouvrant une ambassade américaine à Jérusalem. Que coûterait politiquement l’annonce de l’ouverture d’une représentation américaine à Pyongyang ?» interroge Marianne Peron-Doise.
UN LOURD PASSIF D’ACCORDS JAMAIS RESPECTÉS
Enfin, s’agissant des sanctions imposées à la Corée du Nord, Mike Pompeo s’est montré très clair lundi : pas d’allégement sans progrès réels sur la dénucléarisation. Maintenant, la question centrale reste la sincérité des uns et des autres. Trump s’est souvent montré aussi impulsif qu’imprévisible, capable de revenir sur des accords comme il l’a démontré lors du G7 au Canada. Quel crédit apporter à sa parole ? Et pourquoi Kim renoncerait-il à l’arme atomique, qui constitue encore aujourd’hui sa meilleure assurance-vie, qu’il a fait inscrire dans la Constitution en 2012 ? La Corée du Nord a également un lourd passif d’accords passés mais jamais respectés, comme celui négocié entre Barack Obama et Kim Jong-un en 2012.
Kim Jong-un et Donald Trump sont des leaders bluffeurs et vaniteux, tous deux en quête de résultats et de légitimité. «Chacun des deux dirigeants a besoin d’un succès diplomatique fort pour sa population respective et chacun à sa façon veut entrer dans l’histoire, analyse Marianne Peron-Doise. On ne le soulignera jamais assez, cette rencontre possède une épaisseur historique indéniable et le nationalisme coréen
[des deux côtés de la DMZ] en sortira renforcé.» Trump ne serait pas mécontent d’arriver à un succès diplomatique là ou au moins quatre administrations présidentielles se sont cassé les dents depuis vingtcinq ans. De son côté, la Corée du Nord cherche à arracher un sommet en tête à tête aux Etats-Unis depuis des décennies. Kim Jong-un y est arrivé, réalisant les rêves de son père et de son grand-père et légitimant ainsi la dynastie et l’idéologie du régime. Le jeune dirigeant est à cet égard le grand gagnant de ce sommet.