Libération

Enfant de la petite balle

Caroline Garcia La meilleure joueuse française de tennis est à la tête d’une PME familiale autarcique et revient à Roland-Garros après blessures et polémiques.

- Par RICO RIZZITELLI Photo SERGIO GISBERT

Caroline Garcia se déplace en bande. Pas avec une clique de potes turbulents mais flanquée d’un staff à géométrie variable. A Los Balcones, le club de tennis de Torrevieja, une station balnéaire au sud d’Alicante, elle est accompagné­e d’un sparring-partner, d’un attaché de presse, d’Endy, son yorkshire, et de ses parents, partie prenante de l’aventure. La 7e joueuse mondiale arrive de Stuttgart avant de s’envoler le surlendema­in pour Madrid, puis de rejoindre Rome, ultime tournoi avant Roland-Garros qui commence dimanche. Une existence bohémienne, régie par les fuseaux horaires et les tournois. «Au fil de la saison, Lyon, le sud de l’Espagne et la Floride nous servent de camp de base. Le reste de ma famille est dans le Rhône mais je ne peux pas dire que j’y vive. On est partout et nulle part à la fois», assure-t-elle. «On est comme les gens du cirque, des nomades déphasés qui ne cessent de défaire leurs valises», poursuit Louis-Paul, son entraîneur de père. La PME Caroline Garcia (7 millions d’euros de gains en tournois) s’avère depuis le départ «un projet familial». «Chacun est à sa place : Mylène (la mère) s’occupe de la logistique, Caroline joue, et le père entraîne», détaille Nathalie Tauziat, ancienne finaliste de Wimbledon, qui a joué les consultant­es auprès du clan.

Après avoir pratiqué la danse et le basket, Garcia s’initie au tennis à Villeurban­ne (Rhône) dès l’âge de 9 ans. Un sport qui devient vite une vocation. «Elle a commencé à faire ça à fond, et ses parents ont aménagé leur emploi du temps en fonction», se rappelle Muriel Merolle, qui l’a entraînée jusqu’à ses 15 ans. Après une année de 6e, on l’inscrit au Cned, où elle poursuit jusqu’en terminale STG, sans jamais passer le bac. «Mes parents m’ont eue sur le tard avec quelques difficulté­s. Ils ont fait des efforts pour me mettre au centre et passer le maximum de temps avec moi», raconte la native de Saint-Germain-en-Laye (comme Amélie Mauresmo). L’intendance et les finances doivent suivre. Louis-Paul abandonne son job de directeur des ventes dans une boîte d’électroniq­ue américaine pour prendre en main la carrière de sa fille pendant que Mylène monte une agence immobilièr­e pour assurer la viabilité du projet. «S’investir comme ça, c’est rare.

Ce n’était possible que parce que nous n’avions qu’un enfant», reconnaît le paternel.

Comme avec Richard Williams (le daron de Venus et Serena) ou Walter Bartoli (celui de Marion), le monde du tennis a du mal à accepter ces pères qui s’investisse­nt dans le coaching de leur progénitur­e. Le binôme paie l’historique des relations tumultueus­es dans ce registre (Capriati, Rezaï, Dokic, Pierce…). «Caroline et moi avons la volonté commune d’aller contre les idées reçues», avance le pater familias. A les voir constammen­t ensemble, on se demande comment cette proximité ne produit-elle pas plus d’étincelles. «C’était surtout compliqué à l’adolescenc­e, quand ton petit côté rebelle ressort. Savoir quand ton père est ton coach ou lorsqu’il est juste ton père. Maintenant, on a parfois des discussion­s tendues mais on sait ce qui peut blesser l’autre», promet la Rhodanienn­e. L’arrivée d’un petit copain dans le game pourrait fragiliser cet équilibre mais il n’est pas à l’ordre du jour : «C’est difficile : soit la personne comprend, et tu vis cette relation à distance, soit elle met sa vie profession­nelle de côté, et tu voyages en couple. Moi, pour l’instant, je suis focalisée sur mon tennis. Un jour, ça viendra.» Tee-shirt rouge, veste noire, visage anguleux, ongles manucurés en rose et regard charbon, Caroline Garcia arbore ce jour-là une Rolex au poignet, offrande d’un de ses nouveaux sponsors. Son ascension dans le top 10 mondial lui a offert de nouveaux contrats mais l’argent ne semble pas être son

moteur. «Mes parents m’ont inculqué la valeur des choses. J’essaie de penser avant de

dépenser», dit-elle. Si ses résultats de l’automne 2017 l’ont propulsée dans l’élite de son sport, le début de l’année dernière a ressemblé à un long cauchemar. Fin 2016, le dos en capilotade, elle annonce qu’elle va diminuer sa participat­ion aux doubles, où elle brille avec Kristina Mladenovic, sa coéquipièr­e en sélection, et qu’elle renonce à la Fed Cup, l’épreuve internatio­nale par équipe. Début 2017, ses douleurs sciatiques («elle ne pouvait même plus nouer ses lacets», dit Jérôme Simian, son préparateu­r physique depuis lors) la poussent à renoncer au double. Elle informe Mladenovic par texto. C’est le début de la tempête. Ses coéquipièr­es en sélection la répudient, son expartenai­re, avec qui elle a gagné Roland-Garros en duo, évoque son ingratitud­e vis-à-vis de la fédération, son manque d’autonomie et de curiosité intellectu­elle. Des assertions aussi cruelles qu’injustes. La bonne élève introverti­e se retrouve au milieu de la cour de récré pour de mauvaises raisons. Elle le vit mal. Son clan se resserre. «C’était violent, j’ai beaucoup discuté avec mes parents. Ça m’a permis de comprendre comment je fonctionna­is, ce qui pouvait m’atteindre. J’ai aussi fait appel à quelqu’un qui m’aide à gérer mes émotions, à savoir les exprimer», confie-t-elle. Un préparateu­r mental, un psy ? On ne saura pas.

Outre son âme, Caroline Garcia a dû reconstrui­re un corps en lambeau avec l’aide de Jérôme Simian : «Elle n’est pas là par hasard, elle est engagée dans une mission. Quand elle est ballottée désormais, elle se repose sur sa technique et fait confiance à son corps.» Catholique, «pas vraiment pratiquant­e mais [elle croit] qu’il y a quelque chose au-dessus, peu importe comment tu l’appelles», elle est allée se ressourcer l’an dernier dans le sud de l’Espagne, au pays de ses arrière-grands-parents, partis à la fin du XIXe siècle migrer en Algérie, où son père est né. Caroline a appris la langue de Rafael Nadal à l’école et paraît vouloir conserver ce lien avec ses racines lointaines. Manière de boucler la boucle, d’honorer sa tribu comme de retrouver ses petits cousins qu’elle «ne voit pas grandir», ce qu’elle fera cette semaine à Lyon.

Il y a un an, elle était entre Rhône et Saône pour voter au premier tour de la présidenti­elle. «On vit dans notre bulle mais j’essaie de rester en contact avec la réalité de mes proches, même à l’autre bout du monde.» Au second tour, elle a fait une procuratio­n. Dans les deux cas, elle ne dira pas pour qui. A Roland-Garros, elle ne pourra pas se cacher, en revanche. «Je fais du tennis pour repousser mes limites. C’est un sport individuel mais tu concrétise­s le travail d’une équipe. C’est un partage, notamment avec ma famille.» Elle y revient toujours. •

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