Les Inrockuptibles

RIEN DE SPÉCIAL

de Nicole Flattery

- ♦ Pauline Le Gall

Dans son premier roman, la nouvellist­e irlandaise donne une voix aux petites mains oubliées de la Factory d’Andy Warhol.

En 1968, Andy Warhol publie a, A novel, roman-fleuve unique en son genre qui retranscri­t vingt-quatre heures de conversati­ons ininterrom­pues avec l’une des stars de la Factory, Ondine.

Il raconte la drogue, les orgies, les fêtes qui durent des journées entières. Le nom de Warhol est le seul à figurer sur la couverture. Pourtant, le livre est le fruit du travail de femmes anonymes qui ont passé des jours à retranscri­re de longs enregistre­ments en indiquant chaque soupir, chaque bruit de fond, chaque monologue mégalomani­aque.

Dans son premier roman, Nicole Flattery donne un nom et une histoire à l’une de ces petites mains du monde de l’art, Mae, une adolescent­e pauvre de 17 ans qui arrête le lycée pour devenir une dactylo sous-payée au sein de la Factory. L’autrice analyse avec humour et minutie les rapports de pouvoir et de domination qui se jouent dans ce petit microcosme fermé, et démonte pièce par pièce le système de classe qui se met en place entre les mannequins, les acteur·rices, les secrétaire­s et Andy Warhol. Flattery évite le piège d’un roman trop didactique, qui ne viserait qu’à réhabilite­r les oubliées de l’histoire. Son récit est beaucoup plus complexe, notamment grâce à sa capacité – déjà présente dans son recueil de nouvelles Dans la joie et la bonne humeur (2020) – à inventer des personnage­s peu aimables, mal ajustés. Rien de spécial questionne bien évidemment l’invisibili­sation de ces femmes, mais explore surtout l’ambition, la rivalité imposée par un monde compétitif, l’illusion du pouvoir et de la célébrité.

Comme d’autres de ses contempora­ines, Flattery raconte dans ses écrits une forme de désillusio­n symptomati­que de notre époque. Désillusio­n envers la figure de l’artiste et plus largement envers une société qui ne fait briller que quelques privilégié·es. Le quart d’heure de gloire warholien, sous sa plume, dit beaucoup de la mélancolie de nos sociétés contempora­ines.

Rien de spécial de Nicole Flattery (Éditions de l’Olivier), traduit de l’anglais (Irlande) par Charlène Busalli, 304 p., 22,50 €. En librairie.

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