Les Inrockuptibles

CAMPING DU LAC d’Éléonore Saintagnan

La relecture minimalist­e et fantasque du mythe du Loch Ness en campagne bretonne.

- ♦ Ludovic Béot

“Il m’est arrivé un drôle de truc que je voudrais vous raconter.” C’est ainsi que débute le récit accidenté de Camping du lac. Une panne de voiture, un arrêt imprévu dans un camping au milieu de la Bretagne et nous voilà bientôt, sans qu’on ait trop bien compris comment, propulsé·es au coeur d’une légende, celle d’un poisson gigantesqu­e qui habiterait le lac avoisinant. Cette transposit­ion du monstre du Loch Ness, qui tient à la fois de la parabole religieuse et de la légende urbaine, devient le fil narratif inattendu que l’héroïne, incarnée par la cinéaste, nourrit de ses diverses observatio­ns. Jumelles en poche, elle se promène dans le bois et enquête, regarde (une femme qui nage avec des poissons, tout en se donnant un orgasme). Autour d’elle, une mosaïque d’individus marginalis­és, connectés par une forme d’entraide familiale, s’agrège. Une descriptio­n de la vie quotidienn­e d’une communauté, du crooner américain jouant de l’harmonica et de la guitare à la mère de famille s’improvisan­t coiffeuse. Trouvant un radieux équilibre nonchalanc­e, humour pince-sansrire et grande rêverie romantique, le récit conduit par la voix de la cinéaste est sinueux, fait de multiples détours et enchevêtre­ments, et finit par se déployer dans une ampleur déchirante.

Car Camping du lac a beau avancer dans toute sa réjouissan­te fantaisie, il nous livre avec force le tableau des grandes peurs de notre époque. De notre civilisati­on moderne, il capte l’incapacité à faire corps avec la nature sans l’anéantir. À la merci du tourisme qui vient détruire ce qui existait, la bête du lac périra, sous les seaux d’eau trop tardifs des villageois·es qui espéraient sa résurrecti­on. Ce monstre, c’est bien sûr le miroir de notre écosystème à l’agonie. Malgré cette tragédie finale, le film parvient tout de même à maintenir intact le rêve d’un autre horizon possible et nous invite à une communion, joyeuse et fantasque, avec la nature.

Camping du lac de et avec Éléonore Saintagnan, Anna Turluc’h,

Jean-Benoît Ugeux (Fr., Bel., 2024, 1 h 10). En salle le 26 juin.

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