Les Inrockuptibles

BIG SWIMMER

- de King Hannah ♦ François Moreau

Le duo anglais s’aventure dans un road trip crasseux et classieux sur le territoire américain, à la manière d’un Bill Callahan.

Évoquer les Beatles avec King Hannah, c’est comme demander à Disiz un McMorning en 2024 : nul et non avenu. Hannah Merrick et Craig Whittle, le duo derrière ce sobriquet royal, nous viennent bien de Liverpool, certes, mais semblent avoir passé leur jeunesse les fesses posées sur les docks de la ville à scruter l’horizon, dans l’attente du premier cargo pour les États-Unis. L’un et l’autre le reconnaiss­ent : King Hannah n’est pas vraiment intégré au tissu local et n’aura probableme­nt jamais de statue à son effigie sur les rives du Mersey. À contrecour­ant des enfants chéri·es du coin (The Coral en tête), les deux tracent une tout autre route qui, sous l’impulsion de I’m Not Sorry, IWas Just Being Me (2022), un premier album prometteur et plébiscité par une certaine Sharon Van Etten, les mènera outre-Atlantique à ratisser l’immense territoire, jouant ici et là en première partie des potes Kurt Vile et Thurston Moore.

Sharon Van Etten, que l’on retrouve d’ailleurs à deux reprises sur ce Big Swimmer, élu “notre album de chevet 2024 so far”. Pourquoi ? Parce que le deuxième LP de King Hannah est un chef-d’oeuvre Americana à la fois profondéme­nt enraciné dans le son de l’Amérique, un peu beat aussi par ses allures de road trip crasseux, mais dont le point de vue est celui de deux gosses de passage relatant ce qu’il et elle voient, sans jugement, sans étendard. Leur musique, elle vient de là, elle vient de Bill Callahan, Bonnie ‘Prince’ Billy, Elliott Smith, Cat Power. De la terre, en réalité, que King Hannah foule, créant un nuage de poussière dans son sillage. De l’atmosphère moite d’un parking de motel à El Paso (Somewhere Near El Paso) aux choses vues racontées comme dans une photo de Robert Frank

(Milk Boy [I LoveYou]), des errances tantôt existentie­lles (Big Swimmer) aux virées urbaines frénétique­s (NewYork, Let’s Do Nothing), tout ici nous plonge dans la torpeur d’un journal de tournée ou d’une collection d’articles gonzo avec ses récits à la première personne et sa tendance au name-dropping (John Prine, Bill Callahan, encore lui, ou les postrockeu­rs de Slint).

Fun fact, tandis que l’influence de ces derniers s’entend sur Somewhere Near El Paso, à la belle montée progressiv­e sur plus de huit minutes, Hannah Merrick chante sur le morceau suivant qu’elle se sent entre deux eaux, comme sur la pochette de leur album culte Spiderland (1991). Ironie du sort, c’est Will Oldham, alias Bonnie ‘Prince’ Billy, qui a shooté la photo de la pochette, et ça, King Hannah l’ignorait jusqu’à cette année. Tout finit toujours par se recouper.

Big Swimmer (City Slang/PIAS). Sortie le 31 mai. En concert à La Maroquiner­ie, Paris, le 12 septembre.

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