L’île mystérieuse
Pour Le Mal des ruines, Claude Arnaud revient à sa Corse d’origine. Un retour qui, aux chemins balisés de l’autobiographie, préfère la randonnée hors piste dans une mémoire ancestrale, gorgée de mythologies poétiques.
LES PREMIÈRES PAGES DU “MAL DES RUINES”, NOUVEAU ROMAN DE CLAUDE ARNAUD, font état d’une ferveur corse de l’auteur, né à Paris en 1955, mais issu par sa mère d’une famille ancienne du centre de l’île. Cette exaltation des racines inquiète, le régionalisme, en Corse comme ailleurs, pouvant dégénérer en nationalisme ratatiné. N’était que Claude Arnaud précise que régionalisme et nationalisme lui font horreur : “Aux assurances de l’identité réinventée, je préfère les nuances de l’hybridité assumée.” En commençant par la fable d’une malédiction. Ses ancêtres ayant bousculé la messe dans une chapelle, le prêtre furibard leur jeta un sort. Total : une invasion de fourmis rouges rendues si féroces par le dopage divin qu’ils durent décamper de leur village et s’installer ailleurs, entre autres à Bastia, sous le nom générique de Zuccarelli.
En découlera du beau linge, des médecins, des maires, des députés, et Claude Arnaud, à qui “l’exil” donna des ailes d’écrivain. Parfois on se perd un peu dans l’imbroglio des passions familialoclanistes qui peuvent se résoudre en Corse par un coup de fusil, de préférence dans le dos. Ce qui fait écrire à Claude Arnaud, égaré lui aussi et gavé de dégoût : “Je ne veux plus être corse, même à moitié.” Mais alors quoi ? Une machine célibataire à la façon de Marcel Duchamp mais aussi un orphelin de ses frères, l’un qui s’est noyé, l’autre qui s’est suicidé dans un hôpital psychiatrique. La tristesse est lisible sans pathos car Claude Arnaud a le don de l’exhausser. Du frère noyé dont on ne retrouva pas le cadavre, il dit : “Je préfère l’imaginer faisant le bonheur des murènes qui nichent dans les anfractuosités du golfe de Porto, que de le savoir enfermé à jamais dans un caveau.” Du frère “fou” : “C’était la société qu’il fallait guérir, il n’était pas schizophrène.”
Les incessants à-côtés de l’autobiographie gardent le parfum de la légende fondatrice. On marche au bras d’un nouveau Virgile quand Arnaud décrit sur cette île qui a “le profil en crête d’un iguane vert”, le goût des torrents et du maquis, ou, franchement souriant, les vaches errantes, “plus proches du carnivore que du mangeur d’herbe”. Le Mal des ruines, “leur odeur de renfermé”, est le récit d’une renaissance, comme au lendemain d’un incendie de forêt : “Tout serait vert à nouveau, et d’une fraîcheur bouleversante.” Le mal des ruines fait du bien.
Le Mal des ruines (Grasset), 128 p., 15 €