Les Inrockuptibles

Fran parler

Martin Scorsese dresse un portrait de son amie et autrice Fran Lebowitz qui fait de Si c’était une ville… un monument d’humour juif new-yorkais et de réjouissan­te incorrecti­on.

- Gérard Lefort

CONNAISSEZ-VOUS FRAN LEBOWITZ ? Sûrement non. Martin Scorsese a remédié à cette ignorance fâcheuse en consacrant à son amie de longue date un documentai­re en sept épisodes, intitulé d’un commun accord avec l’intéressée Si c’était une ville… Car ce portrait d’une figure de l’intelligen­tsia new-yorkaise de ces quarante dernières années est indissocia­blement celui d’une ville chérie-haïe par deux autochtone­s majeur·es : Martin Scorsese (Marty pour ses proches) et Frances Ann Lebowitz (Fran pour ses rares intimes), née en 1950 à Morristown (New Jersey) dans une famille juive. Sur un air de rumba, on découvre Fran, râleuse aux allures de pitbull chic, déambulant dans les rues en regardant ses pieds pour signaler des plaques commémorat­ives incrustées dans les trottoirs mais que personne ne regarde car un important message

(“n’oublie pas d’acheter des cornflakes”) est arrivé sur le portable. Le ton est donné et le rythme aussi : trépidant et d’une drôlerie ininterrom­pue. Le fameux humour juif new-yorkais dont Fran est la meilleure porte-parole.

Si c’était une ville… alterne des captations de débats publics et des entretiens intimes avec Scorsese. Le tout augmenté de documents d’archives sur New York ou d’extraits de films, éclairants car ayant façonné la psyché rebelle de Lebowitz. Alors, qui est-elle ? Une géniale

emmerdeuse qui, arrivée à New York au début des années 1970, y creuse le sillon de sa “libération”. Jeune lesbienne assumée, elle accompagne les revendicat­ions gay, exerce des métiers divers (chauffeuse de taxi, femme de ménage…) mais jamais serveuse (“parce qu’il fallait coucher avec le patron”), avant d’être recrutée par Warhol pour son magazine Interview, où elle assure jusqu’en 1981 une chronique vipérine et hilarante sur les coutumes de la cité.

Pendant cette même période, elle publie deux essais incendiair­es et à hurler de rire : Metropolit­an Life (1978) et Social Studies (1981). Un personnage mais surtout une personne de haute culture (plus de 10 000 livres dans sa bibliothèq­ue) qui manifeste une folle sagacité dans à peu près tous les domaines. Séquences mémorables sur les enfants d’aujourd’hui

“déguisés en cosmonaute­s et ligotés sur la banquette arrière des voitures” ou sur le boum immobilier qui a enrichi New York en la vidant de sa population bohème

(“écrivains, artistes, putes…”). Encore ! Encore ! Car Fran est une conteuse que rien n’arrête, pas même la perspectiv­e de sa mort : “J’ai passé l’âge de mourir jeune !” Le secret de son impression­nante vitalité : pas d’ordinateur, pas de portable, et surtout pas de sport ! “J’ai deux activités dans la vie : fumer et préparer ma vengeance.” Un modèle d’incorrecti­on.

Si c’était une ville… sur Netflix

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