Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret
Casting attachant et récit parfaitement maîtrisé, Emmanuel Mouret poursuit ses variations sur le sentiment amoureux et les tensions du désir. Avec une ampleur et une gravité nouvelles.
“SUIS-JE AMOUREUX ? – OUI, PUISQUE J’ATTENDS.” Peut-être faut-il entendre dans cette logique du coeur, tirée des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, le dessein même du cinéma d’Emmanuel Mouret. Depuis la fin des années 1990, le cinéaste, et d’ordinaire acteur de ses propres films, n’a jamais cessé de mettre en scène des personnages qui n’existent que pour aimer. Ils n’en sont jamais tout à fait sûrs : éprouvent-ils un véritable amour ou n’estce qu’un désir volatil ? Quoi qu’il en soit, ils se retrouvent fréquemment prisonniers d’une question, d’une attente et des conflits intérieurs qu’elle provoque.
Pour tenter de se libérer de cette cage d’incertitudes, chacun·e confie, tout haut, les pensées et les courants contraires qui l’habitent. Car dans ce cinéma-là, génétiquement attaché à une famille (Eric Rohmer, Woody Allen ou Hong Sangsoo), on ne bavarde pas pour combler un vide ou remplir un temps creux, mais on parle à bâtons rompus pour tenter d’y voir clair – au risque d’y voir trouble. Le titre de ce nouveau film ne saurait mieux exprimer l’essence même d’une oeuvre dans laquelle des hommes et des femmes s’attirent, succombent à leurs envies ou les refrènent tout en discourant sur les éventuelles répercussions de leurs actes (un baiser est-il sans conséquence ?).
L’art d’aimer chez Mouret (titre de l’un de ses longs métrages), c’est avant tout l’art de parler. Chaque acteur·trice est convié·e à rejoindre ce monde bourgeois sous cloche (canapé dans lequel on s’enfonce sans s’endormir jamais, happé par l’exquise vivacité des mots et des pensées qu’ils dessinent). Chacun·e épouse alors cette langue typiquement mouretienne, merveilleuse et délicate empreinte d’un cinéma qui drape ses personnages dans une élégance particulière, forme de retenue et de clairvoyance dans l’introspection.
Les recrues de ce nouveau chapitre (car chaque film vaut comme une variation autour de l’étude obsessionnelle du sentiment amoureux) sont parfaites – géniale Emilie Dequenne en douce stratège vengeresse, Vincent Macaigne, tout en sobriété dans la peau
d’un père de famille, enfin extirpé de son uniforme de trentenaire paumé… Génie de casting. Cette chorale adopte avec un naturel désarmant les nuances d’un jeu de va-et-vient qui exige volupté et prudence, quand la tentation de l’adultère (autre grande obsession qui occupe ici le centre du film) s’invite in extremis dans le quotidien, et donne naissance à des réseaux tentaculaires de triangles amoureux.
Nouveau volet d’une même pièce,
Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait
(à prendre comme un éloge de la contradiction) marque aussi une forme d’accomplissement dans la filmographie de Mouret. Le film est empreint d’une gravité nouvelle (approchée sur le mode mélo dans Une autre vie, 2013), celle qui sied aux amours impossibles et à leurs déchirures. La légèreté propre au badinage y est toujours de mise, mais elle se déleste de la teinte burlesque qui colorait les autres films. Jamais ici l’art du récit, façon poupées russes (“c’est l’histoire d’une histoire”), n’avait trouvé pareilles ampleur et maîtrise – temporalité élastique, ingéniosité d’un montage dynamique qui laisse les deux conteurs principaux stopper un instant leurs histoires et les reprendre comme on rouvrirait un livre.
C’est que la vie des autres est un puits sans fond qui regorge de trésors romanesques. “Moi, les histoires des autres, j’adore ça, je trouve ça toujours passionnant, ça rappelle les siennes, celles qu’on a vécues, celles qu’on n’a pas vécues”, dira Daphné (Camélia Jordana, bouleversante) écoutant Maxime (Niels Schneider, romancier timide). C’est d’autant plus vrai chez Mouret que l’on ne peut y échapper. Dans les appartements et les rues, au premier ou second plan, il n’y a que ça : des gens qui s’embrassent et parfois se quittent avec douceur.
Et si les cris sont lancés, ce sont des livres jetés à la figure qui remplacent la vaisselle. Marilou Duponchel
Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret, avec Camélia Jordana, Niels Schneider, Vincent Macaigne
(Fr., 2020, 2 h 02)
Lire le portrait de Camélia Jordana p. 36
indiscutable (Tom Holland est extraordinaire), il ne cherche jamais à en mettre plein la vue. Et c’est peut-être là qu’il frappe le plus fort.
Le Diable, tout le temps est à la fois un thriller horrifique (sacrifices absurdes, cancers, vengeance, corruption, meurtres sadiques en série, etc.) et un mélodrame (les malheurs s’accumulent). Il n’y aura pas de rédemption. La fin du film suggère que tout peut recommencer si Arvin décide de partir faire la guerre au Vietnam et de relancer la malédiction familiale.
Au fond, tout ne se résout que par la violence, et l’on pourrait reprocher au film de prôner la vengeance personnelle s’il n’était évident qu’il la dénonce et le déplore (Pollock déteste Trump). Le monde est violent, l’Amérique est violente, la religion ne sème que violence, désordre, souffrance et mort. C’est en voyant Robert Pattinson prêcher devant ses fidèles que l’on comprend que
Le Diable est peut-être un film plus politique qu’il n’y paraît : Pattinson, dans le rôle d’un révérend pédophile, imite Donald Trump à la perfection... Ce que dit Le Diable, tout le temps, c’est que si les rednecks ne changent rien, leurs enfants perpétueront à jamais les mêmes crimes ritualisés, archaïques et médiévaux.
Un grand film sans grande forme apparente – la nature, grand fondement de la culture (littérature, peinture, cinéma, etc.) américaine, y est filmée comme vaine, vide, dérisoire. Quand les personnages regardent le ciel avant de mourir, entre la cime des arbres, ils n’y voient rien. Parce qu’il n’y a rien.