Les Inrockuptibles

Christophe Honoré, cinéaste

- Christophe Honoré

Dans une lettre ouverte sur son coeur, il dit à celui qu’il a fait jouer dans Chambre 212 combien il lui est cher en tant que comédien, chanteur et ami.

Cher Benjamin,

Quand tu m’as proposé de me faire entendre pour la première fois Comment est ta peine ?, tu as tenu à me prévenir que ce n’était peut-être pas le bon moment pour moi. Tu savais que j’étais dans une période d’absolue détresse amoureuse. J’ai fanfaronné, bombé le torse, t’ai assuré qu’il m’en fallait plus pour m’abattre… Puis j’ai écouté en boucle et en pleurant ta chanson pendant des jours et des nuits. Chaque mot ne me semblait avoir été écrit que pour moi, pour décrire de la manière la plus exacte et la plus vivable ce que je ressentais… “Puis j’ai regardé le ciel d’en bas, indécis, voulais-je y monter ou pas ?”… “Ça ressemblai­t à l’été, mais tu n’y étais pas.” Ta voix s’est posée peu à peu en miroir de mon coeur détruit. En t’écoutant je voyais la gravité de mon état, mais je pouvais voir aussi que ce coeur-là était encore capable de battre le temps d’une mélodie. Nous avons décidé de faire ensemble le clip de cette chanson, je me souviens du dimanche midi où je t’ai rejoint au Balzar pour en discuter. Je t’ai parlé de la séquence d’ouverture de L’homme qui aimait les femmes de Truffaut, cette séquence qui montre combien nos vies sentimenta­les sont des cimetières et que la plupart des gens, incompéten­ts en amour, ne savent faire d’une histoire

qu’une tombe à visiter et plus ou moins fleurir. Je ne sais plus qui de nous deux a dit alors que ce n’est jamais la vie qui est violente, mais ce sont les gens. Il n’empêche, peut-être était-ce la joie de se retrouver, ou bien la pudeur qui a toujours régné entre nous et qui nous empêchait de sombrer, on s’est mis aussi à évoquer Uma Thurman s’échappant de son cercueil dans Kill Bill, et les films de zombies où les cimetières se métamorpho­sent en salles de bal pour pantins décharnés. On peut être tué par quelqu’un et remuer encore les bras. Certes d’une manière mécanique et avec le risque d’en perdre un à tout moment, mais on peut se bercer d’illusions et croire que notre corps est encore apte à bouger au rythme d’une musique. Nous nous sommes quittés avec des idées heureuses. Puis le monde s’est mis à déconner à son tour, et il n’était plus question de rien, sinon s’armer contre les attaques de cette période épouvantab­le.

Tu n’es pas le premier chanteur que j’invite dans mes films, il y a eu entre autres Théo Hakola et Michel Delpech… et je remarque que je n’ai demandé à aucun de vous de chanter devant ma caméra, alors que je ne cesse de demander à des actrices ou des acteurs, qui ne sont pas forcément doué·es pour ça, de le faire.

Ce n’est pas une coquetteri­e de ma part, mais la marque d’un réel respect. Je t’envie et je t’admire de pouvoir, sur une poignée de minutes, le temps d’une cigarette, aller si loin et si juste au coeur d’une émotion. De la laisser surgir soudain et tonner comme un orage violent, pour disparaîtr­e l’air de rien dans des rafales de vent et de pluie qui nous lavent et font nos peaux plus douces et nos sentiments plus neufs. Jamais un film ne pourra prétendre avoir le pouvoir de cette déflagrati­on-là. J’imagine que ce n’est pas rien pour un chanteur de mettre au point ces terribles bombes, que plus d’une a dû exploser entre tes mains, te laissant assommé et tremblant. T’inviter dans mon film, c’était aussi te dire merci, une manière, je l’espère joyeuse et tendre, de te serrer dans mes bras comme on offre un abri momentané à ceux qui surent nous toucher. Des baisers d’ami.

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