Les Inrockuptibles

Les Particules de Blaise Harrison

Le quotidien d’un groupe de lycéens est émaillé par des phénomènes étranges. Un beau et sombre teen movie, qui signe la naissance d’un cinéaste prometteur.

- Marilou Duponchel

AVEC “LES PARTICULES”, BLAISE HARRISON, auteur de nombreux films courts documentai­res, passe au format long et à la fiction. Un double saut vers l’inconnu, que le cinéaste semble avoir pensé plus comme un prolongeme­nt qu’un grand écart. Car si ce premier long métrage est une véritable fiction, sa matière, elle, est documentai­re. Il se situe dans le pays de Gex, en bordure de la Suisse, où Blaise Harrison a grandi. Ses jeunes acteurs non profession­nels tendrement benêts ont été dégotés dans les lycées de la région et ont appris à se connaître pour faire vivre cette amitié qui les lie à l’écran.

C’est donc d’abord comme une chronique adolescent­e, véritable et documentée, que se présentent ces Particules, dont l’ambiguïté du titre et la séquence d’ouverture – un bus s’enfonçant silencieus­ement dans l’aube encore noire du matin – font deviner un virage inattendu. Réveil aux aurores, cours de français et de physique, camaraderi­e tendre et parfois cruelle, repas de cantine, coucher… Dans sa première partie, le film enregistre les gestes quotidiens de sa bande de garçons, au coeur de laquelle P.A. (Thomas Daloz, magnétique révélation) fait office de point d’ancrage. C’est à son grand corps désarticul­é, à sa mine défaite, à sa diction hésitante et à son regard confus sur le monde que la caméra de Blaise Harrison est suspendue. Bien qu’empreint d’un certain naturalism­e voué à faire exister, dans sa plus nette

vérité, le groupe lié par une belle et immédiate empathie fraternell­e, le film, en prenant racine dans ce drôle de paysage frontalier et lieu d’enfance de son auteur, sécrète une bizarrerie.

Dommage alors qu’à cette réalité déjà trouble le cinéaste appose un cadre fantastiqu­e via un surpuissan­t accélérate­ur de particules, destiné à explorer les phénomènes inconnus de la nature. Métaphore évidente de la circulatio­n hyperactiv­e des sentiments naissants des personnage­s, ce gadget scénaristi­que ne semble là que pour étoffer une intrigue initiale déjà riche.

Car c’est bien l’une des belles réussites des Particules que de filmer cet âge transitoir­e, non comme un pur rêve hédoniste ou une infinie terre de souffrance, mais comme un continent moite, un pays d’ennui, d’excitation­s, d’épiphanies mêlées, un espace mental sombre, éclairé de lumières, celles des décoration­s de Noël ou d’un écran de téléphone portable. Tout change et personne ne s’en rend compte, remarquent les deux ados amoureux (P.A. et Roshine, atteinte d’une mystérieus­e maladie). C’est parce que, face aux mutations du monde, à son perpétuel changement, seul le regard éternellem­ent lucide des jeunes gens résiste.

Les Particules de Blaise Harrison, avec Thomas Daloz, Néa Lüders, Salvatore Ferro, Léo Couilfort (Fr., Sui., 2018, 1 h 38)

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