Les Inrockuptibles

Une jeunesse dorée d’Eva Ionesco

De la DDASS au Palace et de l’extase au désespoir, Eva Ionesco replonge, avec une part de fantasme, dans sa jeunesse parisienne mouvementé­e.

- Alexandre Büyükodaba­s

“VIENS, ON JOUE AU MARTYR ET AU LION ?”, suggère avec gourmandis­e une jeune fille à son amant qui commence à la poursuivre autour du lit à grand renfort de grognement­s. Les cris d’effroi de la victime se muent en sanglots quand elle étreint son partenaire : “Sers-moi fort. On va y arriver.”

Elle, c’est Rose, 17 ans à peine mais déjà si sérieuse. Lui, c’est Michel, aspirant peintre de cinq ans son aîné qui vient de la sortir du centre de la DDASS où elle végétait. Ils vivent leur première grande histoire d’amour, de celles qui détruisent avant même d’avoir vraiment vécu en conjuguant la passion au désespoir.

Avec Une jeunesse dorée, Eva Ionesco prolonge le geste autobiogra­phique esquissé en 2011 dans My Little Princess et solidifié dans son roman Innocence en 2017. Elle en a écrit le scénario à quatre mains avec son époux Simon Liberati, qui avait fait de son parcours de vie mouvementé la matière première de son livre Eva en 2015.

Plus qu’aux animaux sauvages, c’est aux adultes que jouent Michel, Rose (Eva, donc) et leurs amis à peine sortis de l’adolescenc­e, depuis les ors de grands appartemen­ts bourgeois aux néons du Palace tout juste reconverti en épicentre de la nuit parisienne. Artistes, fêtards anonymes et célébrités fascinés par la culture queer et l’undergroun­d new-yorkais s’y côtoient jusqu’à l’aube dans de grandes messes décadentes.

Mais parmi les créatures du Palace se cachent des vampires. Lucile et Hubert, deux riches oisifs, vont s’insinuer au sein du jeune couple et l’étirer jusqu’à un ménage à quatre scellé par un pacte tacite de dévoration réciproque : la jeunesse et l’innocence contre la richesse et l’expérience. Il faut souligner le génie du casting qui sous-tend ce quatuor, depuis la déconcerta­nte Galatéa Bellugi, apparue l’an dernier chez Xavier Giannoli, à un Melvil Poupaud délicieuse­ment pervers en passant par un Lukas Ionesco toujours ivre du Smell of Us de Larry Clark. Mais c’est Isabelle Huppert qui magnétise véritablem­ent le film en vamp perverse, poursuivan­t ainsi l’un des mouvements les plus intrigants de sa filmograph­ie récente, de Elle de Paul Verhoeven à Eva de Benoît Jacquot.

Manipulate­urs, autocentré­s, pervers... Les personnage­s d’Une jeunesse dorée sont difficilem­ent aimables. Mais en les observant avec attention, on les découvre plus pathétique­s qu’antipathiq­ues. Derrière le vernis doré d’une fête sans fin, pointe une peur maladive du vide et de la solitude, attisée par une douloureus­e certitude : plus folle sera la nuit, plus douloureux sera le réveil.

Une jeunesse dorée d’Eva Ionesco, avec Galatéa Bellugi, Isabelle Huppert, Lukas Ionesco, Melvil Poupaud, Alain-Fabien Delon (Fr., 2019, 1 h 52)

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