Hanouna, sergent recruteur de Canal+

Arrivée d’Yves Calvi, tentative de débauchage de Drucker, intervention sur la nouvelle grille de rentrée : Cyril Hanouna est de toutes les décisions stratégiques. Et si l’animateur de TPMP ambitionnait d’en devenir le dirigeant ?

N’en déplaise aux gazettes sportives, le transfert qui restera dans les annales du mercato estival n’est pas celui éventuel de Kylian Mbappé au PSG, mais celui d’un quinquagénaire à la Canal Factory. Yves Calvi débarque sur Canal+ en septembre. Lu comme ça, ça ne fait pas fantasmer mais à l’échelle du PAF, ce transfert est un tremblement de terre. Depuis deux ans, l’animateur historique de C dans l’air, connu pour sa bonhomie et son allure de prof, pousse LCI à des niveaux records. Son émission quotidienne (24 heures en questions) rassemble près de 300 000 téléspectateurs chaque soir, soit 1,7 % de part d’audience. Tandis qu’à l’intérieur de la rédaction, son professionnalisme et ses talents d’intervieweur ont fait l’unanimité. “C’est un vrai déchirement, témoigne une journaliste de la chaîne. Il nous tenait vraiment la tête hors de l’eau.”

C’est désormais la maison Canal que le pompier Calvi doit sauver des flammes. L’animateur franco-suisse a été choisi pour rénover une case stratégique totalement sinistrée depuis le départ de Michel Denisot, à savoir l’access prime time. Exit Le Grand Journal donc, Calvi aura la charge de construire une nouvelle émission en compagnie d’Emilie Besse et d’autres jeunes journalistes. Après une année zéro marquée par une litanie de départs,

la chaîne cryptée souhaite se relancer. Avec Yves Calvi, Vincent Bolloré veut attaquer Quotidien et TMC sur le flanc pendant qu’Hanouna séduira un public plus jeune sur C8. “Avec Calvi et Hanouna, on peut imaginer un access à 3 millions sur les deux chaînes”, rêve un cadre du groupe.

Le recrutement de la locomotive Calvi n’est pas l’oeuvre de Vincent Bolloré ou

des huiles de Canal+ mais de Cyril Hanouna. Le poids économique et les records d’audience de l’animateur de Touche pas à mon poste ! l’ont érigé en interlocuteur incontournable du groupe. Tandis que sa proximité avec Yannick Bolloré (fils de Vincent), avec lequel il joue au tennis et part régulièrement en vacances dans le sud de la France, l’ont définitivement fait entrer dans le cercle très select de l’industriel breton. Avec ce dernier, il multiplie les réunions et modèle C8 à sa guise.

Depuis le départ d’Yves Calvi de France 5 il y a un an, Cyril Hanouna l’appelle régulièrement pour lui vanter les mérites du groupe Bolloré. Après avoir fait se rencontrer Vincent Bolloré, Yves Calvi et son producteur Jérôme Bellay, Hanouna

a remporté la mise. Ce n’est pas le seul animateur à avoir été sondé par le “numéro 1 bis” de Canal pour cette tranche ultrastratégique qui fit autrefois la renommée et le prestige de la chaîne. Cyril Hanouna a également tenté d’arracher Michel Drucker à son canapé rouge. “Il voulait entourer cette figure tutélaire du PAF d’un groupe de jeunes”, confie un cadre du groupe. Du haut de ses 74 ans, Drucker a tout connu. Tout sauf Canal+. André Rousselet, le légendaire patron de Canal, avait bien pensé à lui pour remplacer Philippe Gildas il y a bientôt vingt-cinq ans mais l’offre ne lui était jamais parvenue. L’animateur de Vivement dimanche a donc d’abord été sensible à cette proposition. “Cyril m’a appelé en me disant qu’il pensait à moi, Yves Calvi ou Laurent Delahousse, raconte Drucker. Il m’a dit que je pouvais venir avec qui je voulais pour bâtir un nouveau journal. Le challenge était intéressant et le risque faible vu l’audience actuelle.” Mais l’animateur qui écrit un livre intitulé Ça vous fait quel âge déjà ? s’est dit trop vieux pour l’aventure. “J’aurais eu dix ans de moins, j’y serais allé mais j’ai fait toute ma carrière dans le service public et je souhaite continuer.”

Certains ont également cru voir l’ombre du chasseur de têtes de Canal+ dans le débauchage de William Leymergie de France 2. Après trente-deux années à réveiller les maisons de retraite de France et de Navarre grâce à sa toute puissante matinale, le roi des audiences a migré sur C8. Contrairement aux apparences, le vizir de Vincent Bolloré n’est pas derrière l’opération. Il a même tenté de faire capoter ce transfert. Alors que la direction de Canal+ voyait en Leymergie la personne idoine pour booster sa matinale et concurrencer TF1 et TMC, Hanouna trouvait plus cohérent que la chaîne qui loge TPMP débute aux aurores avec Alessandra Sublet. “Baba” a perdu son bras de fer. Preuve que certaines décisions lui échappent encore.

Si malgré sa guerre avec le CSA, Cyril Hanouna n’a pas encore perdu son auréole

au sein du groupe, elle lui a coûté des plumes. Au-delà des gigantesques pertes publicitaires que l’animateur estime lui-même à 5 ou 6 millions d’euros, l’image de C8 en a pâti. Surfant sur l’arrivée de Calvi à Canal, Cyril Hanouna et son équipe de production ambitionnent donc de faire évoluer TPMP en un “C dans l’air” des médias. “L’idée, c’est de faire un dîner de cons à l’envers, ironise un proche. Cyril sera entouré de journalistes spécialisés qui l’aideront à décrypter l’actualité médiatique.”

Passer d’une casquette à l’autre n’est pas une tâche évidente même pour cet hyperactif qui carbure au Volvic fraise. A ses proches, cet ultraperfectionniste qui veille jusqu’au “calage” des pubs et des bandes-annonces de C8 répète invariablement qu’il prend davantage de plaisir à jouer au directeur sportif du groupe qu’à jouer les saltimbanques en live. “Il est très intelligent, il sait que son rôle d’animateur ne va pas s’éterniser, analyse Drucker. Son ambition, c’est d’être patron dans trois ou quatre ans, et il l’est déjà vu le poids des décisions qu’il prend. C’est la première fois que l’on voit quelqu’un qui pèse autant dans une chaîne. Sur le plan économique, c’est énorme !” Parole d’un homme qui a cinquante ans de télévision au compteur. David Doucet