L’écume du passé
Plongée violente dans la France d’après- guerre. L’anti- Pierre Lemaître.
C’ est un roman estampillé “thriller” mais qui, s’il procure bien ce frisson d’excitation, ce thrill délicieux, couvre tant de genres et convoque un si vaste panorama d’émotions qu’il y a quelque chose d’injuste à l’affubler d’une étiquette. Car alors, que n’est- il pas un roman d’amour, un roman historique, un roman de guerre ?
Bordeaux, années 50 : à en croire les livres d’histoire, la guerre est finie depuis plus de dix ans. Et pourtant, elle est partout. Dans les silhouettes fragiles et les regards absents des rescapés des camps ; sur les murs couverts de tableaux spoliés des appartements cossus de collabos oubliés par la justice ; dans les rangs de la police, gangrenée par de grands arrangements avec la morale… Et puis il y a l’autre guerre, la nouvelle, celle qui envoie les jeunes garçons en Algérie au nom d’une patrie dont ils doutent à chaque instant.
Il n’est pas trop de cinq cents pages pour se laisser entraîner par Hervé Le Corre – dont c’est le dixième roman – dans cette France si proche et pourtant si lointaine, soulagée et terriblement inquiète, si loin de l’image d’Epinal des fantastiques Trente Glorieuses que l’on nous ressert à l’envi. Dans l’après- guerre de Le Corre, tout est sombre, tout est enfoui, tout est troublant. Il y a Jean Delbos, ancienne racaille, mort à Auschwitz même s’il en est revenu. Renommé André Vaillant, il réapparaît pour se venger. Dans son viseur, Darlac, un commissaire prêt à tout pour préserver son statut de petit dictateur véreux. Daniel, lui, a été sauvé, enfant, de la déportation par un couple qui l’a recueilli et élevé, et part frotter son innocence de jeune homme au désert algérien.
L’écriture est âpre et brutale, les scènes de guerre à la limite du soutenable, la violence omniprésente, en lutte avec l’amour, la tendresse et la loyauté qui parviennent bon an mal an à se frayer un chemin dans les coeurs meurtris. “Après la guerre, parfois la guerre continue. Silencieuse, invisible. Le passé se présente à votre porte avec la sale gueule d’un sale flic ; même les morts reviennent. Pas toujours ceux qu’on espérait revoir”, écrit Hervé Le Corre. Son livre, lui, continue de hanter une fois refermé. Clémentine Goldszal