Les Inrockuptibles

L’écume du passé

Plongée violente dans la France d’après- guerre. L’anti- Pierre Lemaître.

- Après la guerre d’hervé Le Corre ( Rivages), 528 p., 19,90 €

C’ est un roman estampillé “thriller” mais qui, s’il procure bien ce frisson d’excitation, ce thrill délicieux, couvre tant de genres et convoque un si vaste panorama d’émotions qu’il y a quelque chose d’injuste à l’affubler d’une étiquette. Car alors, que n’est- il pas un roman d’amour, un roman historique, un roman de guerre ?

Bordeaux, années 50 : à en croire les livres d’histoire, la guerre est finie depuis plus de dix ans. Et pourtant, elle est partout. Dans les silhouette­s fragiles et les regards absents des rescapés des camps ; sur les murs couverts de tableaux spoliés des appartemen­ts cossus de collabos oubliés par la justice ; dans les rangs de la police, gangrenée par de grands arrangemen­ts avec la morale… Et puis il y a l’autre guerre, la nouvelle, celle qui envoie les jeunes garçons en Algérie au nom d’une patrie dont ils doutent à chaque instant.

Il n’est pas trop de cinq cents pages pour se laisser entraîner par Hervé Le Corre – dont c’est le dixième roman – dans cette France si proche et pourtant si lointaine, soulagée et terribleme­nt inquiète, si loin de l’image d’Epinal des fantastiqu­es Trente Glorieuses que l’on nous ressert à l’envi. Dans l’après- guerre de Le Corre, tout est sombre, tout est enfoui, tout est troublant. Il y a Jean Delbos, ancienne racaille, mort à Auschwitz même s’il en est revenu. Renommé André Vaillant, il réapparaît pour se venger. Dans son viseur, Darlac, un commissair­e prêt à tout pour préserver son statut de petit dictateur véreux. Daniel, lui, a été sauvé, enfant, de la déportatio­n par un couple qui l’a recueilli et élevé, et part frotter son innocence de jeune homme au désert algérien.

L’écriture est âpre et brutale, les scènes de guerre à la limite du soutenable, la violence omniprésen­te, en lutte avec l’amour, la tendresse et la loyauté qui parviennen­t bon an mal an à se frayer un chemin dans les coeurs meurtris. “Après la guerre, parfois la guerre continue. Silencieus­e, invisible. Le passé se présente à votre porte avec la sale gueule d’un sale flic ; même les morts reviennent. Pas toujours ceux qu’on espérait revoir”, écrit Hervé Le Corre. Son livre, lui, continue de hanter une fois refermé. Clémentine Goldszal

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