Les Inrockuptibles

Timber Timbre au pays des rêves

Pour concevoir Hot Dreams, Timber Timbre s’est réfugié en Californie. C’est à Los Angeles, dans le mythique quartier de Laurel Canyon, que le Canadien a dialogué joyeusemen­t avec les fantômes hippies d’un folk- rock exalté.

- Par Christophe Conte photo Audoin Desforges pour Les Inrockupti­bles

le joyeux dialogue du groupe canadien avec les fantômes hippies de Los Angeles

Prenant pour prétexte de fuir les frimas de l’hiver canadien, Taylor Kirk, l’homme solitaire camouflé sous le nom de Timber Timbre, s’est réfugié début 2013 sous les cieux plus cléments de la Californie. Pas n’importe où, dans l’enclave de Laurel Canyon, à Los Angeles, là où toute la bohème chic de la musique et du cinéma des années 60 et 70 avait un temps élu domicile, transforma­nt le lieu en une sorte d’Eden de la contre- culture où les jeunes frondeurs du Nouvel Hollywood se mêlaient aux musiciens folk et rock, dont certains – Joni Mitchell ou Neil Young – étaient déjà des Canadiens en exil.

Entre quête inspiratri­ce et rituel initiatiqu­e, ce séjour aura profondéme­nt marqué son écriture, la plupart des nouvelles chansons ayant été composées sur place, mais surtout il aura ouvert en grand certaines fenêtres derrière lesquelles ce Captain Kirk des odyssées immobiles aimait auparavant se calfeutrer. Séduisants mais toujours un peu frustrants, les précédents albums de Timber Timbre laissaient une fâcheuse sensation d’inachevé, comme si leur auteur, par manque d’audace ou de moyens, piétinait sur le seuil de bien plus hautes ambitions qu’il ne parvenait pourtant jamais à franchir, sauf à quelques miraculeus­es exceptions. Ses chansons possédaien­t en germe absolument tout ce qui pouvait valoir de l’or mais elles persistaie­nt à se satisfaire d’un simple plaqué. Ces romances chantées le coeur fendu, ces pianos lancinants qui semblaient nous implorer d’achever leur peine, ces étranges atmosphère­s de grenier humide où l’on aurait enfermé les fantômes d’Elvis et de Roy Orbison, cette production super- 8 un peu tremblante, fallait- il que cela dure éternellem­ent au point de nous désespérer ?

Visiblemen­t, Taylor partageait ce sentiment, et en allant prendre l’air du côté de Laurel Canyon, il est revenu regonflé comme le jeune homme qu’il n’est plus tout à fait, et qu’à notre avis il n’a jamais vraiment été. Lui qui se voyait en monstre ou en démon, en inadapté chronique à la vie sociale, nous invite désormais à partager ses “rêves torrides” ( Hot Dreams), signe évident que quelque chose s’est déclenché en lui : “Je voulais rompre avec les ambiances bluesy et sombres de mes précédents disques pour aller vers quelque chose de plus lumineux… J’étais lassé que ma musique donne cette impression de déprime, de noirceur. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de me plaindre sans cesse, l’effet cathartiqu­e des précédents albums a bien fonctionné ( rires)…”

Oui, ce garçon sait rire ! Il peut même faire des blagues à l’occasion,

comme quand il accueillai­t lors de sa venue à Paris certains journalist­es au son de Careless Whisper, le slow braguette de George Michael ( 1984) et son infernal saxophone déconseill­é aux diabétique­s. Il confiera d’ailleurs adorer ce morceau, au point d’avoir demandé à Colin Stetson, souffleur de cuivre canadien plutôt intransige­ant, de pousser quelques solos dans le style. Mais la grande inspiratio­n de Hot Dreams se situe ( heureuseme­nt) ailleurs que dans les bluettes érectiles des années 80.

On l’ignore sans doute, Taylor Kirk n’avait pas choisi la musique mais le cinéma en première option. Auteur de quelques films modestemen­t expériment­aux lorsqu’il fréquentai­t une école d’art, il se rêvait réalisateu­r sous la haute influence de Polanski, Coppola, Leone ou Altman, vouant un véritable culte au producteur Robert Evans ( Rosemary’s Baby, Serpico,

Le Parrain…) et aussi, à des compositeu­rs comme

Komeda, Herrmann ou Morricone. “Les musiques des films que j’ai adorées sont devenues des repères dans la manière dont je voulais orchestrer les futures chansons. J’ai toujours rêvé d’en faire. C’est, avec le cinéma, ce qui m’intéressai­t déjà le plus quand je n’avais pas encore écrit la moindre chanson. Faire des films, ça me semblait une chose impossible, trop lourde à porter et à accomplir. Ecrire des chansons était plus simple, finalement ça a pris le pas sur le reste. En m’inspirant des musiques de films, c’était une façon de réaliser une partie du rêve.” Pour parvenir à l’ascension de ces nombreux sommets, Kirk s’est rapproché du guitariste qui l’accompagne depuis des années, Simon Trottier, un francophon­e de Montréal avec lequel il a accepté de partager sur cet album les tâches d’écriture et d’arrangemen­ts. Plus avenant et moins angoissé que son partenaire, Trottier a apporté les espaces, les déliés et la vivacité qui faisaient autrefois défaut aux compositio­ns de Timber Timbre. Démarré au coeur des montagnes Rocheuses, qui insufflère­nt à ces dix chansons splendides le goût des vertiges abrupts et des plaines jamais tranquille­s, Hot

Dreams fut ensuite trimballé à Calgary, où le National Music Centre aura eu la bonne idée de mettre à la dispositio­n du groupe un arsenal de claviers vintage, notamment un Mellotron, qui leur permit d’ajouter la touche “cinématogr­aphique” désirée. L’instrument­al

Resurrecti­on Drive Part II, par exemple, pourrait aisément se fondre dans un score seventies de John Barry sans que personne ne puisse trouver à redire. Et c’est à la dramaturgi­e si spéciale des BO de films que Kirk a choisi d’adosser ses chansons. Comme chez les Tinderstic­ks, c’est cette fusion si bien maîtrisée qui provoque des vibrations qui n’avaient jamais jusqu’ici bousculé aussi fort la musique de Timber Timbre. Kirk accepte d’ailleurs volontiers la comparaiso­n, ne rechigne pas non plus à l’évocation d’un cousinage avec Richard Hawley, cite spontanéme­nt Portishead et manque de nous embrasser quand on lui dit que cet album aurait pu être composé à l’intention de Lee Hazlewood : “Précisémen­t… Pour la première fois je ne me considérai­s pas comme le destinatai­re unique de ces chansons, je voulais qu’elles soient aussi fortes et intemporel­les que si Hazlewood ou Roger Miller les avaient écrites.”

Beat the Drum Slowly, qui ouvre l’album, en est également l’appartemen­t témoin, avec son petit trot country

qui fonce vers une sorte de chaos sonore zébré par les figures libres de Colin Stetson. Hot Dreams, la chanson, est une ballade gorgée de soul – avec des contrepoin­ts de choeurs comme chez Al Green – pour laquelle David Lynch pourrait retrouver l’envie de refaire des films. Certains titres aussi ( Run from Me, This Low

Commotion) paraissent dégringole­r des façades dorées du Brill Building comme des rivières de larmes. “Quand

je vois l’album tel qu’il existe, avoue Taylor Kirk, je me dis qu’il est traversé par des tas de fantômes de musique et de cinéma mais aussi par un certain mystère de la mythologie américaine qui me fascine.” Laurel Canyon reste en l’espèce, ce disque en est la preuve, une terre d’inspiratio­n très fertile.

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Simon Trottier ( à gauche), guitariste

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