Grâce à un photographe et un journaliste, les manoirs du Perche se découvrent sous un angle inédit
En photographiant les manoirs du Perche avec son drone, Hubert Raguet publie, avec Michel Floquet, un ouvrage qui place ces splendeurs de pierres au milieu de leur écrin paysager.
n a tous feuilleté avec envie des ouvrages dédiés aux châteaux ou aux manoirs locaux. Puis, au fil des pages et au gré des mots savants, on a progressivement été lassé par des textes à rallonge, des mots savants, des dates à n’en plus finir. On tourne alors les pages pour regarder, en images seulement, ces splendeurs du passé.
Ce genre d’ouvrage pour spécialistes, c’est tout ce que ne voulaient pas faire Hubert Raguet et Michel Floquet. Le premier est photographe. Il a travaillé pour les agences Gamma et Sigma avant de s’offrir une longère près de Monceaux-au-Perche. Le second est journaliste, ancien directeur de l’information à TF1 et correspondant de la chaine aux États-Unis. Il possède un manoir avec son épouse, Sophie Coignard, à Rémalard. La belle pierre, il connait.
OÀ hauteur d’oiseau
Durant le confinement de la Covid, Hubert Raguet se met à parcourir le Perche avec son drone, pour s’offrir des points de vue sur ces manoirs qu’il bénit pour leur esthétique et leur horizontalité dans le paysage. « Ce qui m’intéressait, c’était de regarder la situation des manoirs du Perche, dans leur environnement. Le drone a souvent ce défaut d’aplatir l’image. Mais à hauteur d’oiseau, à 20 ou 30 mètres du sol, cela donne une image beaucoup plus dynamique », plaide l’intéressé. Au fil de ses clichés va naitre l’envie de publier un ouvrage qui mêlerait la vieille pierre au patrimoine paysager : deux totems que les percherons se plaisent à chérir et à défendre. Il trouvera sur sa route un Michel Floquet qui ne refuse jamais de vulgariser des sujets trop souvent éloignés du grand public. «C’est assez étonnant, mais on trouve peu de livres accessibles sur les manoirs. Mon rôle de journaliste, c’était de digérer toute cette histoire du Perche et la rendre la plus accessible possible, même si l’on n’est pas un grand spécialiste. » La promesse est respectée avec Manoirs-Les Sentinelles du Perche, publié aux éditions de l’Étrave.
Des textes accessibles
Pourquoi y a-t-il autant de manoirs dans le Perche? Pourquoi sont-ils installés à tel ou tel endroit? Comment ont-ils évolué au fil des siècles? Qui les habitaient ? Avec des textes ciselés et directs, Michel Floquet vient habiller les grandes images d’Hubert Raguet, pour livrer une belle leçon de « Patrimoine du Perche pour les nuls ».
« Après la Guerre de 100 ans, le pays n’est pas très sûr. Les édifices vont souvent se renforcer militairement.
Puis après les guerres de religion au XVIe siècle, certains vont venir s’installer dans ces vieux manoirs pour tenter de se faire anoblir, et ainsi échapper à l’impôt», résume le journaliste. Pour vivre, ces propriétaires vont la plupart du temps travailler la terre avec un fermier, et exploiter des bois.
« Avec les lois de l’époque, l’ainé récupère la maison et 50 % des terres en cas de succession. Le reste de la famille se partage le reste. Autrement dit, au fil des générations, c’est de plus en plus difficile d’entretenir ces manoirs », note Michel Floquet.
Casser l’image de la maison bourgeoise
C’est là l’autre grand intérêt de cet ouvrage : replacer le manoir dans ce qu’il a longtemps été au fil des siècles : un lieu de vie à la ferme où les propriétaires travaillaient, souvent modestement. « Pendant très longtemps, on ne vivait que dans quelques pièces du manoir, et très modestement. Le fermier vit souvent avec les propriétaires, ou bien juste à côté. On transforme des salles en pièces de stockage pour les grains, les tonneaux de cidre. Un manoir est avant tout dédié à la ferme », martèle encore Michel Floquet. Loin de l’image de la grande bourgeoisie, les propriétaires de manoirs ont souvent vécu sans le moindre confort dans leurs édifices.
Les premiers accourus
Ce n’est que plus tard que les premiers accourus viendront des grandes villes. Avant la Révolution d’abord, puis bien après, dans les années 1960 et 1970, avant de connaître un nouvel engouement au XXIe siècle. Les manoirs vont alors changer de visage, et l’exploitation agricole va disparaitre. « Sur les près de 200 manoirs que compte le grand Perche, ils sont seulement dix à être encore des exploitations aujourd’hui. »
Au travers des récits et des mots de propriétaires qui ont accepté le projet, cette visite patrimoniale dans les airs permet aussi de scruter des horizons, de voir avancer les saisons, ou encore de se bercer d’un coucher de soleil. Il est assez fascinant, en regardant les images d’Hubert Raguet, de se concentrer d’abord sur la structure du manoir, avant d’être progressivement happé par le paysage, les praires, et se sentir envahi par la verdure. La composition de l’image laisse souvent place à la divagation de l’oeil. Un plaisir simple, qui pourrait sans doute attirer les percherons (et les autres) à mieux s’intéresser à ces merveilles des campagnes. Et pourquoi pas se laisser piquer par le virus ? «La plupart des propriétaires ont cet amour du lieu, et se sentent en quelque sorte récipiendaires. Ils veulent préserver et transmettre une histoire de plusieurs siècles. Ce n’est pas rien, et cela rend humble d’une certaine façon », indique Michel Floquet. Un sentiment que le journaliste connait par coeur.
Manoirs-Les Sentinelles du Perche, aux éditions de l’Étrave. Une dédicace est prévue le 9 décembre 2023 à la librairie Majuscules de Mortagne-au-Perche.