Le Réveil Normand (Eure / Eure-et-Loir)

« Je n’accepterai pas de le mettre à l’avion et le voir partir »

Arrivé du Mali il y a quelques mois, Dantouma Traoré a une épée de Damoclès au-dessus de la tête. En attente de son titre de séjour, il doit prouver sa motivation à s’intégrer.

- • Thierry Roussin

Il a toujours le sourire aux lèvres. Comme s’il venait d’apprendre une excellente nouvelle. Comme s’il se répétait en boucle qu’il venait d’avoir son titre de séjour.

« Quand j’avais 14 ans, à Bamako au Mali, je vivais dans la galère. Je n’avais pas d’argent et je n’avais pas d’autre choix que de partir ». Avec l’objectif très précis de venir en France, Dantouma Traoré tente de quitter son pays, une première fois, mais il est repris en Mauritanie. Avec son beau-frère, il essaie une deuxième, puis une troisième fois, mais toutes ses tentatives sont vaines.

900 euros pour arriver en Espagne

Puis, après trois jours de mauvaises routes dans un bus bondé, le jeune garçon arrive enfin à bon port. Cette fois, c’est la bonne. « Avant de partir, pendant des mois, j’ai travaillé au Mali pour avoir les 900 euros qu’on me demandait pour prendre le bateau, entre la Mauritanie et l’Espagne », relate Dantouma.

Enfin, il pose le pied en Europe et trois semaines plus tard, encore une fois en bus, il passe la frontière pour arriver en France. Par ses propres moyens, il monte à Paris où il est pris en charge par France Terre d’Asile. « Pour désengorge­r la capitale, il existe une clef de répartitio­n et chaque départemen­t doit prendre sa part de mineurs étrangers non accompagné­s », expliquent Christelle Thouroude, Mélanie Lebossé et Nine Lyko de l’Aide sociale à l’enfance de l’Orne (ASE).

« Dantouma n’a pas eu le choix. Nous avons reçu un mail nous disant que dans quelques jours un jeune allait arriver dans l’Orne. A nous de nous organiser en conséquenc­e », résument les deux référentes et la chargée de mission. A 16 ans, Dantouma se retrouve dans un pays inconnu et faute de place en structure, il est installé à l’hôtel.

L’équipe éducative de l’associatio­n Althéa à Alençon va tout de même l’accompagne­r pour lui faire passer des tests d’orientatio­n, lui trouver des stages découverte­s. Puis, l’ASE tombe sur une annonce de Franck Ganivet, le boulanger de Moulins-la-Marche. Il cherche un apprenti et Dantouma aimerait justement faire du pain. Par chance, il y a un Foyer jeunes travailleu­rs à Moulins et cela va grandement faciliter l’entrée de Dantouma dans le fournil.

« Je suis arrivée le 23 octobre 2023 », se souvient très précisémen­t le jeune garçon, à l’âge de 17 ans. Rapidement, il a trouvé sa place et il n’hésite pas à dire, « ici, c’est la famille ». Plus doué pour la pratique que la théorie, le mitron de Moulins apprend très sérieuseme­nt son métier. En mai-juin 2025 il passera son CAP, si tout va bien.

« On fait tout pour le responsabi­liser »

Car Dantouma vit avec une épée de Damoclès en permanence au-dessus de lui. Maintenant majeur, il doit faire la preuve de sa volonté d’intégratio­n pour que l’Etat accepte de lui donner un titre de séjour. « Il a raison, même s’il vit au foyer, il fait parti de notre famille », valide Franck Ganivet dans un échange de regard complice.

« On l’entoure beaucoup, on le véhicule quand il en a besoin pour aller au foot par exemple, mais on fait tout pour le responsabi­liser au maximum. On l’a laissé faire les démarches nécessaire­s pour avoir sa carte de séjour, comme demander son acte de naissance dans son pays ».

C’est lui qui doit écrire une lettre au préfet pour dire sa volonté de s’intégrer et tous les ans il devra en rédiger une nouvelle. Il devra aussi payer 300 euros en timbres fiscaux ! Heureuseme­nt, Dantouma reçoit sa paie d’apprenti.;

❝ Maintenant qu’il a 18 ans, il bénéficie d’un contrat jeune majeur. Cela lui permet d’être encore aidé financière, mais on l’amène à devenir de plus en plus indépendan­t. L’ASE

Tout ce qu’il veut lui, c’est de ne plus avoir besoin d’être aidé. Il rêve de vivre de son travail et de faire de la boulangeri­e son gagne-pain, comme tout le monde. « Il mérite de rester ici et d’avoir un bel avenir car il s’accroche, il travail, il a des valeurs. S’il ne le méritait pas, on ferait pas tout pour le garder », plaide Franck Ganivet avant de terminer avec un paraphe en forme de promesse, « je n’accepterai pas de le mettre à l’avion ».

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