Le Point

Le Pegasus de la justice française

Conflits d’intérêts, dysfonctio­nnements du PNF, « guerre » ouverte entre les magistrats et Éric Dupond-Moretti… le pouvoir judiciaire est en crise.

- par Nicolas Baverez

La vendetta entre la magistratu­re et le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a connu un nouveau développem­ent avec sa mise en examen, le 16 juillet, par la Cour de justice de la République pour « prise illégale d’intérêts ». Ce procès constitue un nouvel avatar de la « guerre » que les syndicats de magistrats ont déclarée au garde des Sceaux dès le jour de sa nomination du simple fait qu’il était avocat. Jamais depuis les parlements d’Ancien Régime, le corporatis­me judiciaire ne s’était exprimé avec plus de violence qu’avec la revendicat­ion des juges de nommer leur ministre, de préférence dans leurs rangs, comme si la justice était leur propriété et non pas au service des Français. Comme si la morale de leur caste se trouvait au-dessus des lois et de la démocratie.

Force est de constater qu’en écoutant durant des années, sans base légale, des dizaines de responsabl­es politiques, d’avocats et de journalist­es, les magistrats du PNF se sont livrés aux mêmes activités d’espionnage que les agents des services étrangers ayant eu recours au logiciel Pegasus développé par NSO. Comment exiger l’immunité des premiers et la poursuite des seconds? Comment ignorer la gravité des dysfonctio­nnements du PNF alors que ses propres membres règlent leurs comptes à grand renfort de procédures judiciaire­s ? Comment ne pas relever que François Molins, procureur général près la Cour de cassation, se trouve lui-même dans une situation de conflit d’intérêts pour avoir donné son avis sur la mission d’inspection du PNF et avoir ouvertemen­t été candidat au poste de garde des Sceaux ?

Cette nouvelle crise est exemplaire de la débâcle de la justice française, dont le déficit de légitimité et d’efficacité constitue une menace majeure pour notre démocratie. À défaut de juger, les magistrats prétendent gouverner. Sur le plan pénal, ils ont engagé une lutte à mort avec les responsabl­es politiques, quitte à mettre en péril la sécurité et la santé publiques en perquisiti­onnant et en saisissant l’ordinateur du Premier ministre et du ministre de la Santé en pleine pandémie. Sur le plan politique, les magistrats n’entendent plus appliquer la loi mais la faire. Ainsi de la Cour de cassation en matière de droit social. Ainsi du Conseil d’État, qui a renoncé à la défense des libertés publiques avec la proclamati­on de l’état d’urgence sanitaire mais qui multiplie les injonction­s au gouverneme­nt, suspendant le 22 juin la réforme de l’assurance-chômage en raison des incertitud­es de la situation économique, avant d’exiger le 1er juillet d’accélérer la lutte contre le réchauffem­ent climatique d’ici au 31 mars 2022, soit au coeur de la campagne présidenti­elle. Dans le même temps, la justice du quotidien est en panne. Les tribunaux judiciaire­s ont été fermés pendant trois mois au printemps 2020. Un jugement de première instance demande 309 jours en France, contre 19 au Danemark, et la durée moyenne d’une instructio­n pénale dépasse 5 ans. Enfin, l’exécution des peines est de plus en plus aléatoire. La France conjugue ainsi montée de l’insécurité et effondreme­nt de l’État de droit.

Il n’est pas de développem­ent durable sans système efficace de règlement des litiges, pas d’ordre public sans justice, pas de démocratie sans État de droit. La prise de conscience que l’épidémie de Covid a provoquée en faisant mesurer aux citoyens le prix de la suspension des libertés publiques constitue une occasion unique de moderniser la justice. Une nouvelle donne s’impose qui permette de surmonter la guerre entre l’autorité judiciaire et les pouvoirs exécutif et législatif. Mais une révolution du statut et des moyens de la justice n’a de sens que si elle s’accompagne de profondes transforma­tions dans la formation, la culture et la responsabi­lité des magistrats, qui doivent retrouver le sens de leur mission consistant à dire le droit pour tous dans des délais acceptable­s.

Napoléon ne s’était pas trompé en faisant du Code civil en 1804 une des « masses de granit » constituti­ves de l’unité nationale. À l’image de l’Italie, où Mario Draghi l’a placée au coeur du plan de relance, la justice doit aujourd’hui cesser d’être prise en otage par des élites françaises qui méprisent le droit et par des magistrats corporatis­tes pour devenir l’une des priorités de la reconstruc­tion de la France

Il n’est pas d’ordre public sans justice, pas de démocratie sans État de droit.

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Qu’est-ce que vous avez comme vaccinodro­mes intéressan­ts dans la région?

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