Il faut sauver la mondialisation !
La crise des classes moyennes conduit au repli protectionniste des pays développés. De Trump à Montebourg, les démondialisateurs font fausse route.
et industrielle. Le commerce existait avant le capitalisme et il aurait pu continuer à prospérer sans lui. Pour l’historienne, le capitalisme n’est pas le prolongement naturel du commerce, il constitue une rupture totale, faisant intervenir une mentalité radicalement différente de celle de simple commerçant.
« Le capitalisme n’est pas un chapitre prédestiné dans l’histoire de l’humanité, écrit Appleby, mais plutôt un étonnant écart par rapport aux normes qui prévalaient depuis quatre mille ans. » D’autant plus étonnant qu’il a d’abord dû vaincre l’hostilité au changement, extraordinairement forte dans les sociétés de l’époque. N’en déplaise aux révolutionnaires de pacotille et de bouteilles de bière de Nuit debout, qui lui vouent une haine aussi tenace qu’ignorante, le capitalisme a représenté, lui, une véritable révolution.
Le capitalisme est de naissance et d’essence révolutionnaire, qui a mis par terre les habitudes et les structures ancestrales, qui a bouleversé la répartition traditionnelle des richesses en même temps que la hiérarchie sociale. « L’énigme de l’ascendant du capitalisme n’est pas seulement économique mais aussi politique et morale, constate l’historienne. Comment les chefs d’entreprise ont-ils pu se dégager de cette camisole de force qu’était la coutume, et acquérir la force et le respect qui leur permirent de transformer les normes de leur société au lieu de s’y conformer ? »
Le capitalisme a dû initialement combattre l’aversion farouche des classes possédantes et des noblesses au pouvoir, vivant de leurs rentes et de leurs privilèges, pour tout ce qui était travail et entrepreneuriat, leur profond dédain pour l’argent gagné à la sueur de son front ou de son ingéniosité. « L’agitation de l’entreprise tournée vers le profit était incompatible avec le culte aristocratique du goût et du loisir, l’éthique aristocratique qui dominait les sociétés européennes voyait d’un mauvais oeil cet affairement indigne », note Joyce Appleby.
Une autre énigme est de comprendre pourquoi le capitalisme est né en Angleterre et pas ailleurs. Pas en Chine, par exemple, en dépit de l’ingéniosité technique et du haut niveau scientifique observés dans ce pays. Pour l’historienne, ce qui a manqué à la Chine, c’est la continuité dans les processus d’ innovation, au coeur du capitalisme, qui en revanche se produisit en Angleterre aux XVIIe et XVIIIe siècles, avec une série de transformations se nourrissant les unes les autres. L’amélioration des techniques agricoles augmenta les rendements et libéra une main-d’oeuvre disponible pour faire tourner une industrie toujours plus innovante, mécanisée, ultracompétitive et écrabouillant la concurrence étrangère. En 1520, 80 % de la population anglaise travaillait la terre, pour 36 % seulement en 1800.
« Le capitalisme est entré dans l’histoire avec l’accent anglais, écrit Joyce Appleby. Cela signifie que l’économie de marché conserva quelque chose d’étranger aux yeux de ceux qui adoptèrent comme deuxième langue l’anglais et, par conséquent, le capitalisme. Les voisins et rivaux de l’Angleterre n’avaient guère d’autre choix : ils durent imiter ce que la France du XVIIIe siècle appelait le miracle anglais. »
On comprend mieux pourquoi Napoléon parlait, avec un mépris mêlé de jalousie, de l’Angleterre comme d’ « une nation de boutiquiers » . On comprend surtout pourquoi la mentalité capitaliste ne s’est jamais vraiment imposée dans notre pays. Pourquoi, aujourd’hui encore, le profit y est toujours aussi mal vu, pourquoi les Français se sentent tellement mal à l’aise avec ce système par nature instable, cette « révolution permanente », cet « ouragan perpétuel de destruction créatrice », pour reprendre la formule de Schumpeter. Les Français n’ont jamais parlé couramment la langue du capitalisme et la parlent toujours aussi mal A ujourd’hui
s’ouvre une nouvelle ère placée sous le signe d’une menace de démondialisation. Le commerce mondial progresse moins vite (2,4 %) que la croissance mondiale, qui montre une inquiétante atonie (2,9 %). Les tentations protectionnistes se font de plus en plus vives, comme en témoignent le blocage de l’OMC, le refus du Congrès des Etats-Unis de ratifier le pacte transpacifique, et les oppositions croissantes sur les deux rives de l’Atlantique au projet de grand marché du TTIP. Les Etats cherchent à reprendre en main les marchés et le secteur numérique en multipliant les réglementations et les taxes. Les politiques se renationalisent, y compris au sein de l’Union européenne, qui pourrait éclater avec le Brexit. La zone euro et l’espace de Schengen craquent. Les frontières sont de retour et se hérissent de murs sur tous les continents, à l’exception de l’Amérique latine : on en dénombre ainsi 66, contre 11 en 1945. La montée des tensions géopolitiques, sous l’effet du réveil des empires et du fanatisme religieux, entraîne une fragmentation de l’espace mondial.
De manière symbolique, les oppositions les plus virulentes à la mondialisation et au libre-échange se situent désormais dans les pays développés. La démondialisation devient le cheval de bataille des forces populistes, réconciliant les passions nationalistes et anticapitalistes. Alors qu’elle a inventé la mondialisation, l’Amérique s’est convertie au néo-isolationnisme avec Barack Obama ; elle pourrait se fermer si Donald Trump était élu et appliquait son programme, fondé sur la taxation de 20 à 40 % des importations, l’expulsion de 11 millions de clandestins et la construction d’un mur à la frontière avec le Mexique.
La démondialisation naît de la crise des classes moyennes, qui constituent le socle des nations libres. Elle cristallise les peurs de déclassement, le désarroi identitaire et l’inquiétude devant la remontée des risques sécuritaires. La mondialisation est désormais accusée d’être à l’origine de la crise des démocraties. L’essor des émergents, Chine en tête, expliquerait la désindustrialisation et les délocalisations, donc le chômage. La concurrence entre les systèmes fiscaux et sociaux serait à l’origine du surendettement des Etats et de l’implosion des systèmes de protection sociale. L’immigration pousserait les salaires à la baisse tout en forçant l’évolution vers une société multiculturelle. Le contournement des Etats par les acteurs
Pour endiguer les passions nationalistes et protectionnistes, on doit produire de la stabilité et de la sécurité.