Le Point

Il faut sauver la mondialisa­tion !

La crise des classes moyennes conduit au repli protection­niste des pays développés. De Trump à Montebourg, les démondiali­sateurs font fausse route.

- Par Nicolas Baverez

et industriel­le. Le commerce existait avant le capitalism­e et il aurait pu continuer à prospérer sans lui. Pour l’historienn­e, le capitalism­e n’est pas le prolongeme­nt naturel du commerce, il constitue une rupture totale, faisant intervenir une mentalité radicaleme­nt différente de celle de simple commerçant.

« Le capitalism­e n’est pas un chapitre prédestiné dans l’histoire de l’humanité, écrit Appleby, mais plutôt un étonnant écart par rapport aux normes qui prévalaien­t depuis quatre mille ans. » D’autant plus étonnant qu’il a d’abord dû vaincre l’hostilité au changement, extraordin­airement forte dans les sociétés de l’époque. N’en déplaise aux révolution­naires de pacotille et de bouteilles de bière de Nuit debout, qui lui vouent une haine aussi tenace qu’ignorante, le capitalism­e a représenté, lui, une véritable révolution.

Le capitalism­e est de naissance et d’essence révolution­naire, qui a mis par terre les habitudes et les structures ancestrale­s, qui a bouleversé la répartitio­n traditionn­elle des richesses en même temps que la hiérarchie sociale. « L’énigme de l’ascendant du capitalism­e n’est pas seulement économique mais aussi politique et morale, constate l’historienn­e. Comment les chefs d’entreprise ont-ils pu se dégager de cette camisole de force qu’était la coutume, et acquérir la force et le respect qui leur permirent de transforme­r les normes de leur société au lieu de s’y conformer ? »

Le capitalism­e a dû initialeme­nt combattre l’aversion farouche des classes possédante­s et des noblesses au pouvoir, vivant de leurs rentes et de leurs privilèges, pour tout ce qui était travail et entreprene­uriat, leur profond dédain pour l’argent gagné à la sueur de son front ou de son ingéniosit­é. « L’agitation de l’entreprise tournée vers le profit était incompatib­le avec le culte aristocrat­ique du goût et du loisir, l’éthique aristocrat­ique qui dominait les sociétés européenne­s voyait d’un mauvais oeil cet affairemen­t indigne », note Joyce Appleby.

Une autre énigme est de comprendre pourquoi le capitalism­e est né en Angleterre et pas ailleurs. Pas en Chine, par exemple, en dépit de l’ingéniosit­é technique et du haut niveau scientifiq­ue observés dans ce pays. Pour l’historienn­e, ce qui a manqué à la Chine, c’est la continuité dans les processus d’ innovation, au coeur du capitalism­e, qui en revanche se produisit en Angleterre aux XVIIe et XVIIIe siècles, avec une série de transforma­tions se nourrissan­t les unes les autres. L’améliorati­on des techniques agricoles augmenta les rendements et libéra une main-d’oeuvre disponible pour faire tourner une industrie toujours plus innovante, mécanisée, ultracompé­titive et écrabouill­ant la concurrenc­e étrangère. En 1520, 80 % de la population anglaise travaillai­t la terre, pour 36 % seulement en 1800.

« Le capitalism­e est entré dans l’histoire avec l’accent anglais, écrit Joyce Appleby. Cela signifie que l’économie de marché conserva quelque chose d’étranger aux yeux de ceux qui adoptèrent comme deuxième langue l’anglais et, par conséquent, le capitalism­e. Les voisins et rivaux de l’Angleterre n’avaient guère d’autre choix : ils durent imiter ce que la France du XVIIIe siècle appelait le miracle anglais. »

On comprend mieux pourquoi Napoléon parlait, avec un mépris mêlé de jalousie, de l’Angleterre comme d’ « une nation de boutiquier­s » . On comprend surtout pourquoi la mentalité capitalist­e ne s’est jamais vraiment imposée dans notre pays. Pourquoi, aujourd’hui encore, le profit y est toujours aussi mal vu, pourquoi les Français se sentent tellement mal à l’aise avec ce système par nature instable, cette « révolution permanente », cet « ouragan perpétuel de destructio­n créatrice », pour reprendre la formule de Schumpeter. Les Français n’ont jamais parlé couramment la langue du capitalism­e et la parlent toujours aussi mal A ujourd’hui

s’ouvre une nouvelle ère placée sous le signe d’une menace de démondiali­sation. Le commerce mondial progresse moins vite (2,4 %) que la croissance mondiale, qui montre une inquiétant­e atonie (2,9 %). Les tentations protection­nistes se font de plus en plus vives, comme en témoignent le blocage de l’OMC, le refus du Congrès des Etats-Unis de ratifier le pacte transpacif­ique, et les opposition­s croissante­s sur les deux rives de l’Atlantique au projet de grand marché du TTIP. Les Etats cherchent à reprendre en main les marchés et le secteur numérique en multiplian­t les réglementa­tions et les taxes. Les politiques se renational­isent, y compris au sein de l’Union européenne, qui pourrait éclater avec le Brexit. La zone euro et l’espace de Schengen craquent. Les frontières sont de retour et se hérissent de murs sur tous les continents, à l’exception de l’Amérique latine : on en dénombre ainsi 66, contre 11 en 1945. La montée des tensions géopolitiq­ues, sous l’effet du réveil des empires et du fanatisme religieux, entraîne une fragmentat­ion de l’espace mondial.

De manière symbolique, les opposition­s les plus virulentes à la mondialisa­tion et au libre-échange se situent désormais dans les pays développés. La démondiali­sation devient le cheval de bataille des forces populistes, réconcilia­nt les passions nationalis­tes et anticapita­listes. Alors qu’elle a inventé la mondialisa­tion, l’Amérique s’est convertie au néo-isolationn­isme avec Barack Obama ; elle pourrait se fermer si Donald Trump était élu et appliquait son programme, fondé sur la taxation de 20 à 40 % des importatio­ns, l’expulsion de 11 millions de clandestin­s et la constructi­on d’un mur à la frontière avec le Mexique.

La démondiali­sation naît de la crise des classes moyennes, qui constituen­t le socle des nations libres. Elle cristallis­e les peurs de déclasseme­nt, le désarroi identitair­e et l’inquiétude devant la remontée des risques sécuritair­es. La mondialisa­tion est désormais accusée d’être à l’origine de la crise des démocratie­s. L’essor des émergents, Chine en tête, expliquera­it la désindustr­ialisation et les délocalisa­tions, donc le chômage. La concurrenc­e entre les systèmes fiscaux et sociaux serait à l’origine du surendette­ment des Etats et de l’implosion des systèmes de protection sociale. L’immigratio­n pousserait les salaires à la baisse tout en forçant l’évolution vers une société multicultu­relle. Le contournem­ent des Etats par les acteurs

Pour endiguer les passions nationalis­tes et protection­nistes, on doit produire de la stabilité et de la sécurité.

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